Le jeune homme en gris

PARIS 2007, ESTELLE

Même quand ils devinrent intimes et qu’elle connut son prénom, Estelle le nommait pour elle-même « le jeune homme en gris ». A cause du costume gris un peu froissé qu’il portait lors de leur rencontre, du côté  du Boulevard saint Germain. Elle sentait en lui comme une grande fatigue tempérée par une légèreté enfantine, ou plutôt une sorte de détachement.

Sans doute pas plus jeune que moi, peut-être même plus vieux,  se disait-elle.

Estelle se considérait comme une fille sans histoire. Son idéal, à trente ans passés, c’était trouver  un compagnon, avoir des enfants. Mais toujours ses aventures amoureuses tournaient mal. Allez savoir pourquoi ! Avec le jeune homme en gris, la malédiction continuerait, c’était plus que probable. Il était parfois si distant. Sa compagne privilégiée, c’était la solitude. Lire la suite >

Le vent des Kerguelen

Cette histoire se passe au siècle dernier, en un lieu harcelé par les vents, à Port-aux-Français, capitale des Iles Kerguelen. Capitale ? On objectera que ces îles n’ont pas encore réclamé leur indépendance. Comment peuvent-elles se vanter de posséder une capitale ? D’ailleurs, les capitales sont généralement polluées, bruyantes, et de mœurs légères. Devenir capitale et le demeurer, c’est affaire de luttes incessantes et de nombreuses compromissions : il faut être prompt à nettoyer le sang du pavé et à faire flotter l’oriflamme du dernier vainqueur.

Mais quand on est une capitale scientifique ? Alors, on se distingue par son austérité et sa discrétion. C’est le cas de Port-aux-Français, capitale des îles Kerguelen, anciennement nommées Iles de la Désolation.

Regardez sur une carte, vous les trouverez à mi-chemin entre Afrique et Australie, aux latitudes rugissantes, là où le vent fait le tour de la Terre sans avoir à saluer une terre. Lire la suite >

homo alteregus

On ne peut ignorer la genèse d’un événement  qui  marqua  les esprits et provoqua des changements notables dans la vie politique. En voici le rappel.

Printemps 2027 dans un  état européen. On préparait les élections présidentielles. Depuis une vingtaine d’années, les citoyens, malgré l’allure pitoyable des rivières et le pourrissement de la Méditerranée, s’obstinaient à se rendre à la pêche les jours d’élections. Mais enfin, les présidentielles ! On attendait un sursaut. On s’efforçait de mobiliser les masses.

La campagne électorale s’avéra sauvage et rude, les coups bas tous permis, avec des alliances plus que douteuses et des entourloupes faramineuses.

Le dimanche des élections parcs d’attraction et de divertissement, parcs animaliers, circuits sportifs, plages artificielles et piscines géantes firent le plein. Il y eut un pic dans les accidents de la route et les insolations.

Et puis, à 20 heures tombèrent les résultats : 99, 9% d’abstention. Seuls les candidats, quelques membres de leur famille et certains de leurs mercenaires avaient voté.

Le pays tout entier faisait la nique à la politique. Lire la suite >

Sacré nuage

Un nuage sur l’île. Mais alors géant, inquiétant, inhabituel.

Volcanique.

Heureusement, les scientifiques et leurs instruments ont averti à temps la population. On a évacué tous les habitants. Ils pourront revenir, dès que le danger sera écarté, leur affirment les autorités.

C’est une île très peuplée. Naguère un écrivain l’a rebaptisée « l’Ile de la Concorde »*. Elle est née d’un volcan et celui-ci  se réveille souvent, pour le plus grand plaisir de tous. Car les insulaires, sensibles aux forces telluriques, ont aussi le goût de la beauté grandiose.

Mais cette fois-ci le nuage rend l’atmosphère irrespirable : énorme, épais, touffu, il intrigue par sa composition inattendue. Les scientifiques se mettent au travail.

Ils analysent des particules, non toxiques mais en quantité incroyable. Ces particules, dans les laboratoires de vulcanologie, on ne les reconnait pas. Lire la suite >

Dis STOP !

Sept micro-dystopies

Avril 2010


Parpaing

De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende

George Orwell, 1984

Rien de plus déprimant, en apparence, que de rester assis devant ces parpaings pesants, gris, grumeleux ; rien de plus triste que de voir seulement ce conglomérat sans âme et sans jour.

Pourtant Clarisse avance encore un peu sa chaise vers l’entassement de blocs cimentés jusqu’à toucher de ses doigts la surface rugueuse dont les aspérités agressent sa chair. Lire la suite >

Au Super U-Top

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Au Super U-Top on ne diffuse que de la musique classique et des poèmes. Et très doucement. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre les clients fredonner un air d’opéra en circulant dans les travées.

Au Super U-Top on trouve des histoires à faire peur, des contes sucrés pour les enfants,  des traités philosophiques en tranches, des fantasmes en vrac, des rêves en quantité astronomique.

Ici on s’approvisionne en bons mots, calembours, histoires drôles pour l’apéritif. On choisit des chansons à boire pour les fêtes et les dîners.

Dès l’entrée, Super U-Top vous offre un regard bienveillant en échange de vos vieilles lunettes.

Pour les idées, il y a un choix phénoménal. Fouillez, farfouillez : des bonnes, des incongrues, des folles, des géniales. Il y en a pour tous les cerveaux. Les plus farfelues se cachent souvent au fond de la gondole.

Au Super U-Top le secteur le plus attractif  est celui des Grandes Qualités. Lire la suite >

Shenaz PATEL, SENSITIVE

Enfance brisée, société en perte de repères

Sensitive (éditions de l’Olivier/Seuil, 2003) a été précédé par Le portrait Chamarel (éditions Grand Océan, la Réunion, 2003) et suivi par Le silence des Chagos, (l’Olivier/Seuil, 2005). L’auteure, Shenaz Patel, journaliste au moment où elle publie, témoigne aussi bien des mutations sociales récentes que de l’évolution de l’écriture littéraire. Lire la suite >

Dany Laferrière L’Enigme du retour

Dany Laferrière          L’énigme du retour, Grasset, 2009

On a souvent entendu la voix de Dany Laferrière, il y a quelques semaines, voix forte et salutaire, en colère, s’élevant au-dessus du brouhaha médiatique, pour dire à peu près ceci : arrêtez de parler de « malédiction », de « destin », c’est trop d’insulte pour Haïti, pour un peuple qui fait face à la catastrophe, parlez plutôt de courage, de générosité et  d’amour de la vie.

Dans son dernier livre L’énigme du retour, Dany Laferrière rend hommage à son pays, aux Haïtiens, à sa famille restée là-bas, avec la sensibilité de quelqu’un qui est parti, qui a fait l’expérience d’avoir le corps quelque part et la tête – le cœur – ailleurs. Lire la suite >

Shenaz PATEL, LE SILENCE DES CHAGOS

Roman d’un exil forcé

Avec Le silence des Chagos, paru aux éditions de l’Olivier en 2005, l’écriture s’empare d’épisodes historiques majeurs pour l’île Maurice : l’accès à l’indépendance  et l’accord entre les USA et la Grande-Bretagne pour installer une base militaire sur l’île de Diégo Garcia, dans l’archipel des Chagos. Cet archipel est présenté de manière poétique, comme « une pluie d’îles posées sur la mer. »

Dédié à des personnes réelles, « Charlesia, Raymonde et Désiré », ayant « confié leur histoire », Le Silence des Chagos relève-t-il du récit de vie ou du témoignage plutôt que du roman ? De fait, l’auteure adopte la forme romanesque et utilise les techniques narratives propres à celui-ci, en particulier le traitement de la temporalité avec un éclatement de la chronologie qui met en valeur les aspects dramatiques. Images et leitmotiv, poésie des évocations, sensibilité de la narration sont aussi ce qui institue le texte en récit littéraire. D’ailleurs, selon l’auteure elle-même, il s’agit d’une fiction, puisqu’il y a construction romanesque,  réorganisation des témoignages, invention de personnages, ou transformation de personnes en personnages, stylisation propre aux fictions. On y trouve même un personnage non humain, le Nordvaer, le bateau de l’exil à qui est donnée la parole.

Mais les événements évoqués sont bien réels et l’auteure, comme d’autres artistes par la suite, affirme à ce sujet son engagement et sa volonté de voir évoluer la situation, voire de constituer une pression. Lire la suite >

Shenaz PATEL, LE PORTRAIT CHAMAREL

Métissage rêvé, réalités de la condition des femmes.

Le roman paru en 2003, aux Editions Grand Océan et réédité récemment, raconte l’histoire d’une jeune fille, Samia, qui rêve d’une société métissée, « chamarrée », plus juste et plus fraternelle. Le portrait ancien que la jeune fille découvre est à la fois l’objet symbolique et la clé du secret familial qu’elle décryptera peu à peu : une histoire d’amour impossible et tragique entre deux amants séparés par leur appartenance ethnique et sociale. Culture religieuse et morale, préjugés, conformisme créent des barrières que l’on ne peut franchir sans risque. Lire la suite >

Polyte de SAVINIEN MEREDAC (1880-1939), 1926.

Paru dans la revue L’Atelier d’écriture n°4, novembre 2009

Polyte est considéré comme « un des chefs d’œuvre de la littérature mauricienne » mais il existe peu de critique littéraire concernant cette œuvre et, à ma connaissance, aucune récente. Grâce à la revue L’Atelier d’écriture éditée par Barlen Pyamootoo depuis juin 2009, les lecteurs mauriciens et les abonnés de tous lieux ont pu découvrir ce texte. Il serait dommage que Polyte ne soit pas lu à la lumière des connaissances littéraires et des valeurs du XXI° siècle. Voilà le sens de ma lecture. J’avoue au passage mon ignorance du contexte littéraire mauricien de 1926. Et comment ce roman a-t-il été accueilli ? Quels commentaires a-t-il suscité ? La seule critique que j’ai trouvée est bien postérieure à la mort de l’auteur et elle témoigne d’une lecture – à mon avis-  assez peu approfondie de l’œuvre. Quoiqu’il en soit, on trouvera ici l’expression d’une subjectivité, et d’un amateurisme revendiqué en matière de critique littéraire ! Lire la suite >

Le Livre de l’Air

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ATELIER d’ECRITURE à Kergallic, Arche de Noé,

BELLE ILE EN MER du 4 au 9 juillet 2010

Icare, l’air et les oiseaux

Après le LIVRE de SABLE, en 2009, l’expérience d’atelier d’écriture à Belle-Ile-en-mer continue.

C’est au hameau de Kergallic, dans le cadre de l’association l’Arche de Noé, que nous nous retrouverons pour explorer par l’écriture un autre élément : l’air.

Livre de l’air ou «livre d’Icare».  Rêve d’envol, thème du souffle,  regard sur les oiseaux  très présents sur l’île à cette époque de l’année. Voici une incitation à la légèreté (non à l’inconséquence que ce terme désigne parfois) mais  une occasion d’échapper à la pesanteur, c’est-à-dire à l’excès de sérieux. Ecrivains et poètes (Jacques Lacarrière, Apollinaire, Supervielle, Saint-John-Perse …) et des peintres (Brueghel, Braque, Delaunay …) pour qui légèreté/gravité sont sources de méditation nous accompagneront dans l’écriture, c’est-à-dire dans l’expression de textes variés, poèmes, « histoires », fragments. Pour la mise en voix et sa relation au souffle, c’est un auteur de théâtre (avec ses paroles « pneumatiques») Valère Novarina, qui pourra nous guider. Lire la suite >

Ivi la nattée

Jadis sur la terre d’Afrique  – terre brûlée, terre en transes, terre de toutes les magies – vivait une jeune fille appelée Ivi. Sa peau était noire et douce comme le cœur de l’ébène que l’artisan polit avec amour. Ses cheveux étaient si beaux, si longs, si épais que sa mère passa plus d’un an à les lui natter. Aussi sa coiffure était-elle parfaite, comme son caractère, aimable et généreux. Ivi la Nattée, comme on la surnommait, était désirée de tous les garçons du village, prêts, juraient-ils, à ne prendre qu’une seule femme, pourvu que ce soit Ivi. Mais celle-ci n’en aimait encore aucun.

Le jour de son quinzième anniversaire, le Grand Griot s’invita dans la modeste case, suivi par un escargot. Lire la suite >

Pas de statut pour le Père Noël ?

Le Père Noël s’arrête. Il ôte sa hotte. Stoppe les préparatifs. Ca alors ! La relit trois fois, la circulaire du patron.

Mauvaise nouvelle. Confirmée par un mail du syndicat.

Eh, ça mérite méditation, ça réveille la réflexion.

De quoi protester, ah, ça, oui, il a de quoi, le Père Noël. Mon statut, mon statut !

Plus intermittent que moi, tu meurs ! qu’il grommelle dans sa barbe. Un jour par an de plein emploi ! Le reste du temps : chômage technique.

Et voilà qu’on veut lui supprimer ses indemnités !

On n’aura jamais que de la misère avec ce patron-là, dit la mère Noël.

Il va les nourrir comment, ses rennes ? hein ? les garder en forme, les bichonner toute l’année, et le loyer de l’étable ? le graissage du traîneau, hein ? de sa poche peut-être ? en farfouillant dans sa robe ?

Comment il va entretenir sa bedaine, mettre son costume au pressing ? C’est de sa faute s’il ne travaille qu’une nuit par an ? C’est à lui que ça nuit, évidemment. Et, pour la retraite, le nombre d’annuités? in-fi-ni ! Plus t’es vieux, plus t’es vendeur. Lire la suite >

Quand tu descendras du ciel

La maîtresse, elle a une surprise pour nous, qu’elle a dit. Méfiance. Les « surprises » et les « projets », en général, c’est inquiétant.

Sa surprise, c’est des catalogues, plein de catalogues. On doit d’abord les reconnaître, puis les nommer, c’est la « leçon de langage ». Donc il a fallu attendre que Sullivan ait réussi à cracher ca-ta-lo-gueu pour qu’elle nous lâche un peu.

Après, elle nous a fait dire que les Ca-ta-lo-gueu viennent de Courrefar ; ça, Sullivan, il a trouvé tout de suite, et même Wilson, qui dit jamais un mot.

C’était pas fini.

Des jouets, les enfants, vous allez choisir les jouets que vous voulez ! Vos jouets pour NNNNNNN………………..

Noël, on a tous répondu en choeur, pour lui faire plaisir.

Alors, les jouets ? Lire la suite >

B A child again

Qu’est-ce qu’on est venu foutre à l’île Maurice ? Ah, oui ! prendre l’avion, nous sommes à l’île Maurice pour prendre l’avion. Une idée de Carla.

Moi, je lui dis à chaque fois : ici, j’ai l’impression d’être tombé dans un catalogue d’agence de voyage. Ce sable blanc qui oblige à porter des lunettes de soleil foncées, ce lagon toujours turquoise, immobile, à peine quelques bateaux de pêche de temps à autre, avec des voiles de couleur, comme pour renforcer le cliché, moi, ça m’ennuie. Et cette façon qu’ils ont, les Mauriciens, de rouler à gauche, c’est dangereux, n’est-ce pas ? Carla trouve cela exotique.

Carla, elle, adore cette île. Elle dit qu’elle a assez vécu dans les brouillards et les maisons  grises autrefois. A peine arrivés, nous voici sur le port de Mahébourg où il n’y a rien, bien sûr. Rien. Nous allons au bout du môle : un kiosque avec un pêcheur qui pêche, comme on pouvait s’y attendre. Rien. Carla s’extasie en regardant le lion couché au soleil couchant. C’est un rocher qui, paraît-il, évoque un lion, ses pattes arrière trempant dans le lagon. Carla, ça lui rappelle son enfance dans le Cotentin. En plus éclairé, dit-elle, tellement plus.

Soudain, dans  la décoration lumineuse du kiosque, une ampoule électrique explose. Lire la suite >

Francophonies en Limousin

Récit garanti subjectif partial et partiel par de festivaliers venus d’ailleurs

Texte : Guillemette de Grissac

Photos : John Leunens  et Guillemette de Grissac (http://picasaweb.google.fr/gdegrissac/THEATRELimoges?authkey=Gv1sRgCOWvwNmGvtegjQE&feat=email#)

« …Si aujourd’hui nous constatons combien nous sommes en manque sans pour autant être en mesure de dire réellement de quoi, le théâtre nous offre la bouleversante possibilité de l’être ensemble. »

Wajdi Mouawad

La gare de Perpignan, comme centre du monde, c’était du temps de Dali. Voici la gare de Limoges.

Et un calembour médiéval (parait-il) : Au lit on dort.  Comme j’aime les calembours, j’ai réservé une chambre à l’hôtel du Lion d’or.

Francophonies en Limousin,  billetterie accueillante. Lire la suite >

Bibliographie de la poésie mauricienne contemporaine

LITTERATURE de l’ILE MAURICE : Poésie (mise à jour : juillet 2009 grâce à Kadel Yusuf, poète)

Recueils mauriciens récemment publiés :

2008 :« Calindromes » (Poésie),  éd Vilaz Métiss, Île Maurice : Michel Ducasse.

2009 :« Vagabondages » (Poésie), éd L’Harmattan, Paris : Umar Timol.

2008 : « Bann Fler sovaz » (Poésie), auto-édition, Île Maurice : Tahir Hussen Pirbhay. Lire la suite >

Le pétrel tempête

« Oiseaux, et qu’une longue affinité tient aux confins de l’homme… »

Saint-John Perse.

J’ai peu connu mon père. Mais c’est de lui que je tiens l’orientation de toute mon existence.

Mes souvenirs d’enfance sont rares et, pour la plupart,  confus. Mais son image est intacte. D’une certaine manière, il est resté avec moi et l’adulte que je suis devenu aujourd’hui dialogue encore avec lui.

Il était rarement à la maison : « en mission », « en voyage », « de l’autre côté du globe ». Voilà les réponses habituelles à mes questions. Et puis il arrivait ! Lire la suite >