Feuille

24 septembre, au marché

Dans mon sac grand ouvert
Je dispose courgettes choux tomates
basilic patate douce
          Une feuille envolée vient s’y poser aussi
Petite et rousse
sur le vert des brocolis
échappée du platane
gracieuse comme un colibri

          Et te voici feuille
          comme une main à quatre doigts
posée sur le chêne de mon bureau
un peu froissée
délicatement veinée
bruissante

          te voici arrivée
dans mon poème d’automne

Colchiques

« L’été se prolonge un peu plus qu’autrefois » dit Maya à sa petite fille, Colombe, qui écoute à peine. C’est ainsi.
Tu veux que je te raconte comment jadis les arbres perdaient leurs feuilles ?
-Les arbres ?
La petite n’a jamais vu un arbre. Alors, perdre des feuilles …
Maya elle-même ne connait ce phénomène que par les images de synthèse.
Avec tout un folklore : les enfants sur le chemin de l’école, les cahiers dans les sacs, les feuilles qu’on ramasse pour les dessiner
Colombe n’a jamais pris le chemin de l’école, ni touché une feuille de papier, pas plus qu’une feuille d’arbre.
Mais elle sait chanter.
Maya s’éclaircit la gorge et commença :
« la feuille d’automne
emportée par le vent
en rondes monotones
tombe en tourbillonnant
Colchiques dans les prés
Fleurissent fleurissent
C’est la fin de l’été »
-C’est quoi colchites demanda l’enfant ; colchiques corrigea Maya. Des fleurs
-Quelle couleur ?
Maya ne savait pas.
Elle montra à la petite des images de son enfance à elle.
Des arbres très verts comme on en alignait dans les villes, propres, conçus pour décorer. Le long des rues, sur les places, toujours verts. En décembre on ajoutait quelques sapins synthétiques avec des leds colorés. Au printemps, des parterres de fleurs en plastique ornaient les ronds-points.
Ce n’était pas encore assez propre, se consola Maya. Le tout minéral, c’est plus fonctionnel. Et, maintenant, comme n’y a plus d’arbres, ni réels ni en plastique, on projette des images sur le béton. Colombe les verrait sur les murs de la ville, ces arbres de jadis roussis par l’automne et peut-être on projetterait aussi des colchiques. Elle regarderait des fleurs sur grand écran.
Quand on serait autorisé à sortir.
Maya soupira.
Colombe aussitôt demanda : « encore la chanson ».
« la feuille d’automne
emportée par le vent … »
– Chante avec moi, Colombe, dit Maya. Attends, juste un petit réglage.
Elles chantèrent.
« colchiques dans les prés
Fleurissent fleurissent … »

Maya se sentit émue aux larmes. Et fière de sa programmation.
Comme elle l’aimait, son petit humanoïde, avec ce joli nom secret qu’elle lui avait donné : Colombe.

Requiem pour un nénuphar

Requiem pour un nénuphar
écrit Olivier le jardinier
Olivier quel beau nom pour un jardinier
Requiem pour un nénuphar
arraché à la beauté du jour
N’arrachez pas de vos mémoires
la belle histoire
que le poète a fait pousser
le poète est le jardinier des mots
n’arrachez pas la petite herbe
ni l’ombre
du micocoulier
n’arrachez pas un seul cosmos
ni une feuille argentée
Olivier quel beau nom pour un poète.

Jardin du Fort st André, 19/09/20 (« Requiem pour un nénuphar » est le titre du message que le jardinier a posé près du bassin pour ceux qui ont cueilli ou laissé cueillir une fleur de nénuphar.)

Tristesse du platane

Les platanes d’ici, en pleine feuillaison, verts, tendres et fournis sont en ce moment mutilés, les voici transformés en troncs gris qui tendent leurs moignons.
Bien sûr, ils ne sont ni tristes ni en colère, mais moi, je le suis, en les regardant.
Pourquoi ?
EST-CE POUR N’AVOIR PAS A RAMASSER LES FEUILLES QUE L’ON COUPE LES BRANCHES avant même que les feuilles perdent leur sève !!!!
PAR PRECAUTION ?
Avant la tempête on enlève les feuilles qui pourraient offrir une trop grande prise au vent, vent qui pourrait faire tomber les branches, branches qui pourraient détériorer nos véhicules, et …
Il me fait mal, ce monde, où l’on coupe, où l’on châtre, où l’on mutile le vivant par ignorance ou par « précaution » au lieu de glorifier ce qui fait sa beauté.
Les feuilles vertes, vigoureuses, vivantes sont entassées sur le pavé, une montagne de tristesse pour qui aime les arbres. Et de la colère.
Dans ce monde-là, peintres et poètes n’ont plus de place.
Courbet, Monet pourraient ranger leur palette.
Prévert ne pourrait célébrer les regrets de l’amour perdu, avec les feuilles mortes « qui se ramassent à la pelle … » ni
On célèbre toujours les couleurs : les arbres encore verts, le jaune et le rouge qui accrochent le soleil, en octobre, et jusqu’à la fin de novembre. Oui, novembre, et même décembre.
Au Japon, la fête des couleurs dans les Jardins dure de mi-novembre à mi-décembre.

Privée de couleurs
privée d’automne Ville triste
Proteste ô Poète
séparé du bleu d’été
et des promesses de l’or

Traversant la pluie
un soleil flamme éclatante
nous ravive le coeur

L’Académie des rêves

Pour être admis à l’Académie des rêves, on doit présenter un ou plusieurs rêves. Ils seront évalués par la Présidente : esthétique, invention, degré d’incongruité.

La présidente de l’Académie ressemble à Hélène, la monitrice d’aquagym.

J’ai peur que mon rêve soit refusé. Au moment où mon tour arrive de raconter mon rêve à Hélène, je m’aperçois que je l’ai oublié.

Iconocrash

Le jour où tous les appareils photos devinrent aveugles et muets, ce fut la panique. Attaque des satellites par des extra-terrestres ? Terrorisme sélectif ? Comment savoir ? Sur le Champ de Mars simultanément s’interrompirent les poses des groupes comme les selfies. Aucune capture d’image. Il s’ensuivit des scènes d’hystérie collective. Nos photos !!!! hurlait la foule, piétinant avec rage les appareils. Certains furieux jetèrent leur téléphone du 3° étage de la Tour Eiffel. Vinrent ensuite les premiers suicides. S’il n’était plus possible de se photographier en haut de la Tour qu’avait-on d’autre à y faire ?

Le bichon maltais

Je travaille devant l’écran quand le téléphone sonne. Le fixe. Je me déplace.
-Oui ?
Quelques formules de politesse bafouillées :
-Madame, est-ce que vous avez un bichon maltais ?
-Un quoi ?
Explication. Ce monsieur a rencontré sur les quais une dame qui faisait du jogging, avec un bichon maltais. Mâle. Et lui, il a aussi un bichon maltais. Femelle. Alors …
-D’accord je fais du jogging sur les quais, je concède. Mais j’ai toujours détesté les chiens et, ce matin, je suis très occupée.
Il continue quand même.
-Cette dame, elle m’a dit qu’elle s’appelait Madame F. Alors, j’ai trouvé votre numéro dans les pages blanches, Madame F, vous vous appelez bien comme ça ?
-Ce n’est pas un nom très rare, en tout cas je n’ai pas souvenir de vous avoir rencontré, je dis, tout en pensant soudain à autre chose : « bichon maltais ». Cette expression a tout d’un oxymore. Un rapprochement bizarre. Quelque chose de pénible aussi. Bichon maltais ?
-Ecoutez, je possède un angora turc, femelle, ça ne fera pas l’affaire …
Là, j’aurais mieux fait de me taire. Est-ce que j’ai besoin de mentionner mon chat ? Bichon maltais … C’est quoi, cette histoire ? Je ne sais même pas à quoi ressemble ce genre de chien, et ce monsieur qui veut … Il faut que j’abrège. Je vois trop bien ce qu’il veut.
-Désolée. Au revoir monsieur. Lire la suite >

Feria

Du premier toro Mateo obtint une oreille et toute l’arène acclama le vainqueur. La mise à mort laborieuse du deuxième lui valut un envol de coussins.
Ensuite, à l’arrière, le boucher décrocha le toro pendu par la patte et, rapidement, se mit à le démembrer.
L’ombre envahissait déjà les gradins quand Matéo vit entrer son troisième toro.
Victoire finale. Acclamations.
Le vaincu fut évacué, le sang dégouttant de sa bouche.
Les mains du boucher actionnèrent aussitôt la scie, sans même enlever au corps les lambeaux de son habit scintillant.
Demain le vainqueur brouterait à nouveau l’herbe de la sierra.

Ma nature

Je suis fidèle. Par nature, par vocation. Ainsi, depuis bientôt trente ans j’aime X, ami d’enfance, même si on se rencontre peu ; Avec S, le corps exulte, et vigoureusement, depuis longtemps. Avec Z j’entretiens une liaison érotique et littéraire.
Entre temps, j’ai eu trois maris. Fidèle jusqu’à la mort : la leur. Mes quatre enfants peuvent compter sur moi. Et aussi ma sœur et mes amies de pension. Fidèle, vous dis-je.
Tous me disent exigeante. Vraiment ?
Mais pas question de devenir grand-mère : Comment rester fidèle à qui aurait soixante ans de moins que moi ?

Envol

Comme d’autres chantent ou jouent d’un instrument, Eléonore égrène non des notes mais des noms en kyrielle : glaréole, calendrelle, coulicou, rousseline … Pour compléter ses listes, elle parcourt des milliers de kilomètres et ainsi ajoute : sylvette, géopélie, geai bleu, dendrocygne, cardinal. C’est sa passion, Malgré les risques elle suit le tichodrome sur les falaises, poursuit au désert le courvite ou dans la toundra gelée la chouette harfang. Elle finit par embarquer pour des îles lointaines où niche l’albatros à front blanc Mais toujours, elle reste solitaire, car elle attend de trouver l’oiseau rare, homme ou femme de sa vie avec qui partager les aventures, les voyages et les listes d’oiseaux exceptionnels. Quelqu’un comme elle : bird watcher passionné(e), à la poursuite de l’absolu. Pour s’envoler à deux.