Ma nature

Je suis fidèle. Par nature, par vocation. Ainsi, depuis bientôt trente ans j’aime X, ami d’enfance, même si on se rencontre peu ; Avec S, le corps exulte, et vigoureusement, depuis longtemps. Avec Z j’entretiens une liaison érotique et littéraire.
Entre temps, j’ai eu trois maris. Fidèle jusqu’à la mort : la leur. Mes quatre enfants peuvent compter sur moi. Et aussi ma sœur et mes amies de pension. Fidèle, vous dis-je.
Tous me disent exigeante. Vraiment ?
Mais pas question de devenir grand-mère : Comment rester fidèle à qui aurait soixante ans de moins que moi ?

Envol

Comme d’autres chantent ou jouent d’un instrument, Eléonore égrène non des notes mais des noms en kyrielle : glaréole, calendrelle, coulicou, rousseline … Pour compléter ses listes, elle parcourt des milliers de kilomètres et ainsi ajoute : sylvette, géopélie, geai bleu, dendrocygne, cardinal. C’est sa passion, Malgré les risques elle suit le tichodrome sur les falaises, poursuit au désert le courvite ou dans la toundra gelée la chouette harfang. Elle finit par embarquer pour des îles lointaines où niche l’albatros à front blanc Mais toujours, elle reste solitaire, car elle attend de trouver l’oiseau rare, homme ou femme de sa vie avec qui partager les aventures, les voyages et les listes d’oiseaux exceptionnels. Quelqu’un comme elle : bird watcher passionné(e), à la poursuite de l’absolu. Pour s’envoler à deux.

Les Maisons Neruda

Il y a trois maisons NERUDA

La première est à SANTIAGO, dans le quartier de Bellavista. La Chascona. Ce n’est pas la sienne mais celle de son épouse.

Elle leur ressemble d’ailleurs, à l’un et à l’autre. Proche du Rio Mapuche, elle est pleine de passé.

On l’a pillée du temps de Pinochet, on voit encore des statuettes écornées, l’espace vacant d’une collection volée. Et pourtant que de richesses, de toiles anciennes, de vaisselle, de tapis, d’objets rares. C’est aussi une sorte de labyrinthe, tant il y a d’escaliers, de bouts de terrasses fleuries et de petits couloirs obscurs.

La deuxième est à VALPARAISO.

Les hauteurs de Valparaiso constituent une immense mosaïque de maisons de couleurs : villas tarabiscotées, petites boutiques, blocs de ciment peints de fresques criardes, le bleu vif empiète sur le rose délavé, le gris dévore le jaune, des glycines, des géraniums surgissent parfois de cet entassement minéral. L’air salin brûle les peintures et les fleurs. Lire la suite >

« Et si tu croises… » Atelier Corps des mots

10 et 11 janvier 2014

L’Atelier « CORPS DES MOTS » a eu lieu à la Réunion, dans le cadre de l’Association « Et si tu croises », animé par Béa, Flore et Guillemette.

La première session a été remplacée par le cyclone Bejisa mais la deuxième a été très enthousiasmante.

Nous avons exploré les relations entre les mots et le corps ; comment les mots sonnent , résonnent , comment le corps renvoie du sens (domaine de Flore); nous avons fait le pari d’une mise en mise en relation de plus en plus fine et sensible.

Les PROPOSITIONS D’ ECRITURE (Guillemette) ont permis des textes variés, tous chargés d’émotion, lus ensuite, retravaillés, mis en voix, mis en scène (Béa).

Des conseils techniques ont été donnés, permettant une réécriture.

Il y a eu aussi la lecture à deux voix de textes d’écrivains, des extraits tirés au sort, une recherche de mini-mise en scène, d’une intimité.

Paul Auster : Chronique d’hiver
Eve Ensler : Monologues du vagin
Daniel Pennac : Journal d’un corps
Nacera Benaza in Les Carnets de la Création (éd de l’œil) L’Algérie …

La PROPOSITION D’ECRITURE à partir de cet extrait était une variation personnelle sur le thème ou à partir des mots.

Chaque journée s’est terminée par un lâcher prise, mouvement libre avec musique et sans paroles, ou bien, le 2° jour, mise en corps et en espace du texte de Christian Olivier « Corps de Mots ».

Après échanges sur l’écriture et le déroulement du stage, nous avons dansé sur la chanson de Zazie « J’envoie valser ».

Ananda Devi

La chair de l’écriture

 

Ananda Devi occupe dans la littérature une place singulière. Elle-même, comme d’autres écrivains contemporains, revendique son appartenance à une « littérature-monde ». Ses œuvres de langue française possèdent un ancrage géographique et national mais leur véritable patrie, c’est la  poésie, la fiction littéraire et la vie spirituelle : en ce sens, elles dépassent et même abolissent  toutes  frontières.

L’itinéraire d’ANANDA DEVI est celui d’une femme écrivain qui interroge le monde, roman après roman. Du lieu fondateur, l’Ile Maurice, où elle est née, de l’océan Indien où sont publiés ses premiers livres, de l’Inde qui est à la fois  le lieu d’origine  de sa famille et un lieu de prédilection  jusqu’aux différents lieux d’Europe où elle vit et publie (désormais dans la collection blanche de Gallimard) on peut suivre un parcours exceptionnel. Ses romans reflètent la diversité culturelle et son écriture évolue à la lisière de la poésie. Cependant si l’on doit y trouver une constante, c’est bien celle-ci :   au cœur des fictions d’ANANDA DEVI, se trouve la chair, le corps, la vie des femmes.

Ainsi, noms de lieux, noms et destins de femmes sont en permanente interrelation.

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S.Thala

Elle a lu dans un magazine deux ou trois choses sur Marguerite Duras.

Elle ne s’intéresse pas vraiment à la littérature, c’est plutôt la personne qui l’intrigue, sa manière tranquille d’évoquer ses amants, son frère,  son amour des lieux tristes.

Sans presque y penser, elle se retrouve à la Gare St Lazare, puis dans un train qui roule vers la côte normande.

Elle qui n’aime pas quitter Paris, surtout en automne, elle ressent l’étrangeté de la situation.

La gare. Il pleut à petites gouttes  sensibles, presque tièdes. Le jour commence déjà à baisser.

Elle court vers la plage.

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Anicet

The human body cannot existe without human bodies. Paul Auster, Sunset Park

A-t-il été caressé par une mère, une marraine, une nourrice ? Aucun souvenir dans sa courte mémoire.
Placé dans une famille d’accueil, puis une autre, encore une autre, à chaque fois rudoyé, à chaque fois rebelle, il insulte, frappe, griffe. On se débarrasse de lui. Non conforme. Finalement Anicet se retrouve encore dans un « foyer », assis sur un lit de dortoir, puis à une table où personne n’envisage de lui faire une place. En quatre ou cinq années d’école, plusieurs écoles, il a appris à un peu lire, sans jamais être écouté, encore moins félicité. A l’extérieur des classes, il reste dans un coin, échappant ainsi aux autres enfants, et le soir il retrouve un monde hostile. Il a vu dans un livre qu’un foyer est un lieu où brûle du feu, un lieu de chaleur et d’humanité, alors il doute du sens des mots et il sent son cœur se geler. « Le corps humain, a-t-il lu un jour sur un papier tombé d’une poubelle, le corps humain ne peut vivre sans les autres corps ».
Pourtant il aurait pu vivre sans la main bouffie qui s’abattait sur lui, sans le corps suant et soufflant, sans les coups de ceinture du père Fouettard, sans les gifles de la Cheffe, il aurait pu vivre sans le corps gras et mou de l’éducateur qui l’obligeait à partager son lit, vivre tranquille sans les coups reçus à la maison spécialisée, sans les coups de poings métalliques, sans les violences et les intrusions corporelles des caïds en prison. Sûrement.
Car Anicet est un être humain comme les autres, il lui manque seulement une rencontre sur la mode de la douceur et de la tendresse. Il a vu assez le monde pour se figurer l’effet produit par un un baiser, comprendre le sens d’une caresse mais il n’avait jamais éprouvé quoi que ce soit de ce type dans son corps. Il est brutal avec lui-même : a-t-il un autre modèle que celui de la brutalité ? Quand la nature parle fort, il se masturbe avec fureur, sang et sperme mêlés. Et à l’approche des autres, il préfère élever des barricades de protection et rester muet, autant que possible.
Il dort parfois dans la rue où il croise des chiens, jamais il ne tend vers eux une main, et n’en reçoit que morsures aux mollets.
Le voici qui erre dans une cité en quête d’un vélo sans antivol, d’un sac oublié ou d’une porte mal fermée, il entre dans un immeuble tranquille d’où s’échappe des bruits de télé, arpente un couloir grisâtre en poussant chaque porte. Au deuxième étage, tiens, c’est ouvert, il en est le premier étonné. Il entre dans un appartement sombre, chargé de menus objets, qui sent la cire, la lessive et l’oignon. Il regarde autour de lui, cligne des yeux, repére la cuisine.

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Pas un chat

Vous avez regardé les chats de la Medina, comme ils ont l’air heureux et bien portants ? En voici un assis sur un tapis de luxe exposé dans la rue, un autre qui prend ses aises sur un vieux carton, encore trois enroulés au-dessus d’une couverture de laine, voyez comme leur pelage roux et noir se confond avec les arabesques du tissu. Et quels repas ! D’une maison sort un plat d’arêtes de poisson qui leur est destiné, dans une autre ils vont quémander des restes de tagine, les plus voraces font leurs griffes sur les sacs poubelles.  Ils iraient bien jusqu’au port car l’odeur des sardines fait déjà frétiller leurs moustache mais c’est plus risqué ; c’est le domaine des goélands, bataillant autour des entrailles de poisson, la concurrence est rude, un coup de bec aurait vite fait d’assommer un chaton… Mais pourquoi leur disputer le territoire ? Après tout, ils étaient là avant eux …

 

Car autrefois il n’y avait pas un chat. Nulle part. Les chats n’existaient pas. Les humains étaient présents bien sûr, tels qu’on les connait : affairés, pressés, et, qu’il s’agît de s’enrichir sans mesure ou simplement de subsister, peu enclins au partage. Tous vivaient dans les chamailleries, la compétition et la guerre, toujours prêts à envahir le territoire d’à côté, à quereller leurs voisins, à crier sur leurs enfants, à clôturer leur terres, à brandir des armes pour défendre leurs propriétés. Rien à envier aux goélands. Ainsi, qu’ils aient vécu dans l’opulence ou dans l’indigence, fatigués de protéger leurs biens, ou d’envier ceux des autres, harassés par la concurrence, ils mouraient mécontents.

 

Mais, à dire vrai, certains préféraient ne pas entrer dans la course et s’agitaient le moins possible. Ils avaient trouvé une parade : ils dormaient les trois quarts de la journée, et quand ils s’éveillaient, travaillaient juste ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim. D’autres ne faisaient rien du tout, se suffisant des restes que les repus, les trop pressés abandonnaient sur place, leur repas à peine entamé. Ces dormeurs, ces rêveuses étaient aussi poètes et philosophes : on les voyait jouir du soleil, chanter doucement, danser ou bien rester tranquilles, jambes croisées, avant de se recoucher, les plus fortunés sous des baldaquins de soie, les autres allongés au sol dans une ruelle ou au fond d’un tonneau. Ils parlaient peu et ne faisaient de mal à personne.

 

Ce qui causa leur perte, c’est que, sans même l’avoir souhaité, ils furent imités. Un petit nombre d’agités, et de querelleurs, en regardant les partisans du sommeil, eurent envie de se calmer, de ne plus invectiver leurs proches et même de renoncer à l’accumulation de biens pour vivre tout simplement et dormir beaucoup, rêver peut-être.

C’était trop. Ces bons à rien feraient donc des adeptes ? Il fallait réagir car toute la machinerie humaine qui fonctionnait si bien, ce tissu de nerfs tendus, de flux organisés, d’échanges inégaux, de surenchère permanente se trouverait alors menacé.

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L’Île aux surprises

En l’honneur de Jacques Roubaud
Pour Jacques Dubois

 

J’ai toujours aimé les îles

 

Je connais l’île d’Yeu

L’île aux Moines

Mais pas l’île du Diable

 

Je connais l’île de Ré

Mais pas l’île de Mi

Je ne veux pas voir les îles de Do

 

Je connais Groix Belle Ile et Houat

Hoedic la Corse et l’île de Batz

Mais pas Oléron

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Une journée très ordinaire

L’aube pointe au volet. Cinq heures, cinq heures et demie ? Je ne dors plus.

Une première salve de toux. C’est mieux quand je dors, mais, là, impossible. Fini pour aujourd’hui, le havre du sommeil et le noir de la nuit. Alors.

La lueur se fait insistante

Me lever, mais pour quoi faire ?

Pour voir quoi ?

Le soleil comme chaque jour surgira de la montagne pour éclairer la plage.

La plage, entre mangrove et falaises, des kilomètres de sable blanc, blanc comme une peau pâle, comme les opales qui s’échangent contre des dollars à mon bar. Je la connais par cœur, la mer étalée, comme venue des collines lointaines, appuyées sur l’horizon.

Horizon fermé. Oui, fermé, nous vivons au fond d’une baie. Exceptionnelle, d’accord. Comparable à celle de Rio de Janeiro, pourquoi pas. En plus calme. C’est ce que je raconte aux touristes mais moi je ne regarde plus. Ni la mer trop lisse, ni les collines trop loin, ni la courbe de la côte. Trop connu, trop vu, la routine. Lire la suite >

Un retour

L’avion s’arrache du sol. Joss et Léa se regardent en souriant et se penchent pour voir par le hublot l’île rapetisser. Sur les pentes des montagnes, les nuages s’accumulent que l’avion dépasse pour émerger en pleine lumière, et maintenant il fonce dans le bleu. Joss montre à Léa, au-dessous d’eux,  le cordon d’écume et le sable clair, le vert éclatant de la végétation.

Et puis c’est l’océan comme une soie lisse. Léa ferme les yeux.

– Qu’y a-t-il sous tes paupières ?

– Sous mes paupières les hibiscus au fond du jardin, les lézards sur le mur que poursuit le chat, Monette avec sa robe à fleurs qui nous serre sur son cœur, l’ombre du banian …

–  Les bananes serrées les unes contre les autres que je détache encore vertes, les enfants des voisins jouent sur la varangue, continue Joss, le jacaranda perd déjà ses fleurs mauves, le bruit des mangues tombant sur le toit de tôle, le cri du coq et les chiens qui aboient tout le temps, le soleil répandu sur la mer… Lire la suite >

Du récit personnel à la fiction

Atelier d’écriture du 7 au 13 juillet 2013 à Kergallic

Animé par Guillemette de Grissac et Louise de Ravinel
Dans le cadre de l’association l’Arche de Noé, Kergallic, Belle-Ile-en mer.

Carnets, journaux, intimes, souvenirs d’enfance, notes hâtives ou récits complets, l’écriture personnelle est pour certains une habitude, pour d’autres elle demeure un désir à réaliser.

Ecrire c’est toujours dire « JE »

… mais comment présenter aux lecteurs une écriture personnelle, rendre compte du monologue intérieur, jouer avec le dévoilement écrire au passé comme au présent ? Beaucoup d’interrogations affluent avec le projet d’écrire sur soi : elles concernent par exemple  la relation entre sincérité et pudeur, l’envie de tout dire et le respect des autres,  le mystère de la mémoire.

Mais la littérature de l’intime est aussi acte de parole, travail sur le langage. En cela, elle devient inévitablement fiction, travail de transformation. Elle est aussi, pour chacun, auteur et amateur,  une expérience de formation.

Dans le cadre de l’atelier, chacun s’essaie à sa propre écriture pour constituer un carnet ou un recueil.

L’écriture au sein d’un groupe permet échanges, écoute et débats.

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Atelier13

Le livre des soleils

Atelier d’écriture du 26 août au 1er septembre 2012

à Kergallic  Belle-Ile en mer

Après le sable, l’air et l’eau, c’est donc le feu solaire, avec sa force et sa vitalité, sa présence dans l’île et sur l’océan, qui nous invite à l’écriture. Il s’agit d’écrire sur un thème commun, à partir de propositions diverses, dans un esprit d’échange et de confiance.

J1 Lundi 27 août 2012 Van Gogh …

Ecriture spontanée à partir d’une reproduction du tableau de Van Gogh : MOISSON AVEC FAUCHEUR, 1889 (Essen, Museum Folkwang)

Regarder simplement, sans analyse, sans réflexion, pour soi-même, y repérer un ou des éléments qui s’adressent à vous …

Le cercle solaire

le bleu des montagnes

les vagues tourbillonnantes des blés

l’arbre solitaire comme l’homme au travail

le ciel strié d’ombres

le mas au creux de la colline

est-ce une eau, un chemin entre l’habitation et le champ ? Agnès

Dans les vagues colorées et ensoleillées du tableau, j’observe une petite maison gris-bleu … aussitôt  un souvenir d’adolescence émerge … Elyane

« Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été […]

cette faucille d’or dans le champ des étoiles », rêvait Booz endormi.

Il peut toujours rêver, celui-là… et moi, je sue sous le soleil descendu sur ma peau, au bout de ma faucille brûlante, si petite, si mince pour couper cet immense horizon de blé, indéfini, trop vaste pour mon écrasante journée de labeur qui ne finira qu’à la nuit. … Michel

« Les cyprès me préoccupent toujours, je voudrais en faire des choses comme les toiles des tournesols, parce que cela m’étonne qu’on ne les ait pas encore faits comme je les vois… c’est la tache noire dans le paysage ensoleillé, mais elle est une des notes noires les plus intéressantes, les plus difficiles à taper juste… il faut les voir ici, contre le bleu, dans le bleu pour mieux dire ». Van Gogh, Lettre à Théo.

Des câlins sur la banquise

Je m’appelle Noël Lepers. Ne riez pas. Ou plutôt si, amusez-vous, comme moi, qui ai le sens de l’humour, tout en étant quelqu’un de sérieux. Pensez-donc, je suis un scientifique reconnu. Un chercheur. Spécialiste de la vie animale : j’étudie les manchots.

Voilà qui me vaut de vivre environ dix mois sur douze en Terre Adélie.

Ne faites pas cette tête-là, regardez plutôt tout en bas de votre planisphère. L’Antarctique. Je vis sur la banquise. Et réjouissez-vous : je vais vous raconter une histoire singulière qui vient de m’arriver. Comprenez d’abord que je vis dans l’harmonie du blanc, sous mes yeux les icebergs, gigantesques glaçons scintillants, autrement précieux, croyez-moi, que ceux que vous mettez dans le pastis. Je suis à la tête d’une petite équipe, moi le plus ancien, le responsable, le chef, quoi. Chercheurs et techniciens. Notre laboratoire est situé sur la base BGM, à cinq cents kilomètres environ du pôle magnétique, je vous parle du Pôle Sud, bien sûr. Vous pouvez regarder, il n’y a pas d’endroit plus reculé pour une population humaine. La vraie population, c’est celle d’innombrables phoques nageant sous la glace et surtout de milliers de « manchots empereurs ». A cause de cet isolement, notre mode de vie demande de la discipline. Dans un milieu extrême comme  la banquise on n’a pas droit à l’erreur, – 40, ça ne pardonne pas : respect des horaires de travail, interdiction de sortir seul.

Les mois d’hiver, le soleil émerge du brouillard pendant moins d’une heure, rase la banquise et se rendort, mais l’été, il éblouit la glace, la fait scintiller, la rend transparente et nous offre souvent un ciel vert d’aurore australe, déployant de  féériques draperies.

Maintenant imaginez les manchots. Des oiseaux. Oui, ce sont des oiseaux sans ailes, juste des moignons, des oiseaux qui se tiennent debout comme vous et moi, vêtus de noir intense sur le dos et la tête, avec un ventre tout blanc, blanc comme la neige où ils circulent, en colonies piaillantes. Voyez les maintenant, pêchant sous la glace comme des phoques, dans une eau que le froid bleuit… Vous l’aurez compris, je n’échangerai ma place avec personne. La banquise est toute ma vie, même si la solitude parfois me ronge. Mais j’ai ma philosophie, et le souvenir cuisant de – comment dites-vous ? – oui, de déboires sentimentaux. Jadis. N’y pensons plus.

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Sans ménagement

Quitter cet appartement s’impose : Anabel en a trouvé un autre, idéalement placé, plus proche de la mer. Il faut donc déménager. Elle prend en charge ce qui me parait une corvée assommante. C’est l’occasion de changer, dit-elle, d’éliminer (éliminer quoi ?) et puis, avec cette entreprise qui nous livre des cartons spéciaux, c’est facile.

Elle commence par le plus basique des rangements, enfin c’est ce qu’elle affirme : les livres. Il suffit de les placer bien à plat dans les plus petits cartons. Mais quand elle doit tout étiqueter et mettre en liste,  elle se heurte à la question du classement.

Ce n’est pourtant pas la bibliothèque de Babel, presque infinie, imaginée par Borges. J’ai l’habitude de laisser mes livres dans l’ordre d’acquisition, je n’en ai pas beaucoup et moi, je les retrouve toujours.

Je les classe par ordre alphabétique, déclare-t-elle. Tu aurais dû faire cela plus tôt.

J’ignore le reproche.

Pas de problème.

Mais faut-il séparer les essais des romans ? Regrouper les polars ? La SF ? Lire la suite >

Une journée très ordinaire

L’aube pointe au volet. Cinq heures, cinq heures et demie ? Je ne dors plus.

Une première salve de toux. C’est mieux quand je dors, mais, là, impossible. Fini pour aujourd’hui, le havre du sommeil et le noir de la nuit. Alors.

La lueur se fait insistante

Me lever, mais pour quoi faire ?

Pour voir quoi ?

Le soleil comme chaque jour surgira de la montagne pour éclairer la plage.

La plage, entre mangrove et falaises, des kilomètres de sable blanc, blanc comme une peau pâle, comme les opales qui s’échangent contre des dollars à mon bar. Je la connais par cœur, la mer étalée, comme venue des collines lointaines, appuyées sur l’horizon.

Horizon fermé. Oui, fermé, nous vivons au fond d’une baie. Exceptionnelle, d’accord. Comparable à celle de Rio de Janeiro, pourquoi pas. En plus calme. C’est ce que je raconte aux touristes mais moi je ne regarde plus. Ni la mer trop lisse, ni les collines trop loin, ni la courbe de la côte. Trop connu, trop vu, la routine.

Les zébus errant sur la plage, les bateaux déjà prêts pour la pêche. Tout ce fourmillement de vies minuscules. Pas besoin de sortir pour les voir, c’est identique chaque matin. Même le dimanche.

Pour m’occuper, je rêve un peu aux seins de Félicité. J’arrive à bander encore en regardant Félicité, quand elle s’installe avec son matériel de massage, elle sort d’un sac de toile deux flacons d’huile et une serviette douteuse. Lire la suite >

Le goût du Néant

J’ai choisi de mourir ici. Dans ce village.

Là ou ailleurs, direz-vous, n’est-ce pas un jour ou l’autre, notre sort commun ?

Pas si vite.

Moi, je ne suis pas commun. Déterminé à en finir, oui.

Si, comme moi, vous êtes un tant soit peu philosophe ou artiste,  vous comprendrez.

Je ne tiens plus à la vie.

Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute


Voilà. Tout est dit.

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Gianduja (Mémoires d’Amandine)

Mes petites, vous devez tout savoir aujourd’hui. Suivez-moi bien. C’est la dernière fois que je m’adresse à vous. Ceci est une confession.

Le croirez-vous ? Je suis née dans une boîte de chocolats. Ou presque. Ne riez pas. Mon père était artisan confiseur. Ma mère s’occupait de la boutique. C’était juste avant Noël, la pleine saison des chocolats. Pas question d’arrêter. Elle accoucha donc parmi les stocks de bonbons et dans l’odeur des chocolats « de fin d’année ». Vous voyez ? Non, vous ne voyez pas,  parce que maintenant vous achetez vos chocolats dans les « grandes surfaces » comme vous dites. Eh bien en ce temps-là, elles n’existaient pas, les grandes surfaces et la petite surface de la boutique constitua pour moi un univers de saveurs féériques.

Ma mère garda un souvenir un peu pénible de cette aventure, ma naissance. Et voilà pourquoi je n’eus jamais ni frère ni sœur. Parfois je restais toute la journée  dans la fabrique, respirant le parfum du chocolat, du sucre filé, des pâtes d’amandes. J’aimais surtout le moment de Noël, car c’était aussi mon anniversaire.

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L’homme du rivage

Comment on l’a trouvé, ce lieu ? Ce bord de mer que nous avons aimé tout de suite ? Hasard ?

C’était en voyage.

La mer, j’ai envie de voir la mer.

Il y a quelque chose d’enfantin dans sa voix, je l’entends.

Moi aussi. Besoin de mer. On a  stoppé la voiture, jeté un coup d’œil à une carte. J’ai mis le doigt sur un point : trois cents kilomètres peut-être, nous pouvons arriver en fin d’après-midi, il y aura encore du soleil.

Le point sur la carte, c’est une petite station balnéaire.

On approche.

Des bungalows, des mobiles homes, quelques résidences – on les devine luxueuses à cause des murs de clôture – des immeubles cubiques aux volets tirés. Et puis la mer. Grise, un gris très doux, avec un soleil déjà dilué dans les nuages, avec le vent et l’odeur d’algues.

C’est là, dit simplement Nel.

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Plage nette

Il aime venir s’asseoir sur la plage. Sous un arbre tordu, au feuillage maigre et léger, filao peut-être, ou tamaris qui donne une ombre familière, parmi les pierres dures déposées sur le sable.

C’est près de chez lui.

C’est sa distraction,  comme il se dit.

Il est seul.

Il regarde la mer. Grise, parfois livrée aux soubresauts de l’écorce terrestre, vide, lumineuse.

Il jouit du calme, il aime les vagues. Jamais il ne se lasse de leur mouvement d’animal tenu en laisse, imprévisible et têtu. De leur chant qu’il a entendu toute sa vie.

On a tenté de le faire partir. La santé, la  sécurité, pour son bien.

Jamais.

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