Colchiques

« L’été se prolonge un peu plus qu’autrefois » dit Maya à sa petite fille, Colombe, qui écoute à peine. C’est ainsi.
Tu veux que je te raconte comment jadis les arbres perdaient leurs feuilles ?
-Les arbres ?
La petite n’a jamais vu un arbre. Alors, perdre des feuilles …
Maya elle-même ne connait ce phénomène que par les images de synthèse.
Avec tout un folklore : les enfants sur le chemin de l’école, les cahiers dans les sacs, les feuilles qu’on ramasse pour les dessiner
Colombe n’a jamais pris le chemin de l’école, ni touché une feuille de papier, pas plus qu’une feuille d’arbre.
Mais elle sait chanter.
Maya s’éclaircit la gorge et commença :
« la feuille d’automne
emportée par le vent
en rondes monotones
tombe en tourbillonnant
Colchiques dans les prés
Fleurissent fleurissent
C’est la fin de l’été »
-C’est quoi colchites demanda l’enfant ; colchiques corrigea Maya. Des fleurs
-Quelle couleur ?
Maya ne savait pas.
Elle montra à la petite des images de son enfance à elle.
Des arbres très verts comme on en alignait dans les villes, propres, conçus pour décorer. Le long des rues, sur les places, toujours verts. En décembre on ajoutait quelques sapins synthétiques avec des leds colorés. Au printemps, des parterres de fleurs en plastique ornaient les ronds-points.
Ce n’était pas encore assez propre, se consola Maya. Le tout minéral, c’est plus fonctionnel. Et, maintenant, comme n’y a plus d’arbres, ni réels ni en plastique, on projette des images sur le béton. Colombe les verrait sur les murs de la ville, ces arbres de jadis roussis par l’automne et peut-être on projetterait aussi des colchiques. Elle regarderait des fleurs sur grand écran.
Quand on serait autorisé à sortir.
Maya soupira.
Colombe aussitôt demanda : « encore la chanson ».
« la feuille d’automne
emportée par le vent … »
– Chante avec moi, Colombe, dit Maya. Attends, juste un petit réglage.
Elles chantèrent.
« colchiques dans les prés
Fleurissent fleurissent … »

Maya se sentit émue aux larmes. Et fière de sa programmation.
Comme elle l’aimait, son petit humanoïde, avec ce joli nom secret qu’elle lui avait donné : Colombe.

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