Ivi la nattée

Jadis sur la terre d’Afrique  – terre brûlée, terre en transes, terre de toutes les magies – vivait une jeune fille appelée Ivi. Sa peau était noire et douce comme le cœur de l’ébène que l’artisan polit avec amour. Ses cheveux étaient si beaux, si longs, si épais que sa mère passa plus d’un an à les lui natter. Aussi sa coiffure était-elle parfaite, comme son caractère, aimable et généreux. Ivi la Nattée, comme on la surnommait, était désirée de tous les garçons du village, prêts, juraient-ils, à ne prendre qu’une seule femme, pourvu que ce soit Ivi. Mais celle-ci n’en aimait encore aucun.

Le jour de son quinzième anniversaire, le Grand Griot s’invita dans la modeste case, suivi par un escargot.

Ivi, dit le Grand Griot, Manitou t’a choisie. Bientôt tu te marieras et tu auras une fille. Cette fille, élue par Manitou, deviendra la bienfaitrice des humains. Elle ira par le monde, apportant la paix et la concorde dans les cœurs, elle sera comme toi belle et généreuse. Tu pourras l’accompagner pour la protéger et l’aider dans cette mission.

Ivi accepta avec joie cette annonce, remercia le Grand Griot et, s’adressant à Manitou : quel bonheur, dit-elle simplement. Nous réussirons.

– Non, fit Dieu, non, ce scénario ne me plait pas du tout. Pas assez people. Rajoute-moi des massacres, du sang, des tortures. Reprends la situation initiale, il faut des animaux, les gens aiment bien ça, des rois, du fric, une caravane, de la musique. Et davantage de suspense.

La Mythologue – qui préférait qu’on l’appelât ainsi, plutôt que « le nègre » ou « la plume » de Dieu, dont elle rédigeait tous les discours – fut mortifiée de cette intervention. Comme elle tenait à son emploi,  elle ravala son amertume et suggéra :

–  Ivi et sa fille rencontreront quelques obstacles…

– Quelques obstacles ! Allons, un effort d’imagination. Pour la situation finale, ce sera gore, sinon, ça ne marche pas, de la torture bien tordue, du raffinement dans le sadisme, du spectaculaire. Evidemment les héros sont blonds aux yeux bleus.

–  Mais, le continent où …

– Et depuis quand sommes-nous tenus à la vraisemblance ? déclara sèchement Dieu. Davantage de massacres, des armées qui s’affrontent, lâcheté, trahison,  supplices, éradications, sinon comment veux-tu que les humains se projettent ?

Dieu a raison, se dit la Mythologue, attristée.

– Le héros est un homme, naturellement. Garde la mère, ça, ça marche, la mère qui accompagne, ça attire la sympathie, c’est mélo.

– Donc la mère met au monde …

– Un homme. D’abord enfant, d’accord. Tout le monde aime les récits de naissance. Au début, mets de la neige, ça se vend bien.

– De la neige en …

– C’est un scénario, que je t’ai commandé, pas un reportage. La neige, ça fait rêver, le soleil qui brûle la terre, non.

– La nuit alors ? C’est la nuit qui sera noire ébène ! Et avec des étoiles ? Un étoile ? Vénus, la brillante Vénus ?

– Si tu veux, concéda Dieu. Et puis Manitou ! Manitou, ça fait marchand de tapis ! Dieu, appelle-moi Dieu, dans tes mythes, bon sang, pourquoi je te paye ? Pour des inventions stupides ? Mais surtout, change- moi ce titre. Ivi la nattée ! Ridicule ! Comment veux-tu que ça se vende !

La Mythologue redoutant fort le divin courroux et craignat pour son emploi, fit un effort supplémentaire :

– Ivi la nattée … La nattée, Oui, bien sûr, ce n’est pas porteur, mais ça sonnait pas mal, non ? Ivi … La …La…Nati … La Natte Ivi ! Ca y est j’ai trouvé ! Euréka !  La Nativité ?  La Nativité ! C’est bon comme ça ? Hein, Dieu, La Nativité, ça vous ira ?

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