2 – Suite pour

La première fois que j’ai vu X je ne l’ai pas vu. Lui, si. Nous étions cinq ou six personnes dans une pièce sombre et je ne le connaissais encore, je ne connaissais pas les autres non plus. Lui, pas de doute, il m’a repérée. Il n’a pas bougé, et je n’ai même pas su ce jour là qu’il s’appelait X.

A vrai dire, X qui est très brun, plutôt petit, n’a pas vraiment le profil de mes fantasmes. Voilà pourquoi je l’ai à peine remarqué

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3 – Les bas rouges

Je sais pas quoi faire !

Je répétais ça sans arrêt quand j’étais une petite môme. En pleurnichant.

Maman, elle savait pas non plus quoi faire avec moi, vu qu’elle était seule, alors elle m’emmenait à son travail, moi, assise sur une marche, j’attendais que le temps passe. Je me demande si on peut s’ennuyer plus que ça. Maman, elle me parlait pas.

Je sais pas quoi faire, je répétais encore.

Gratte toi les jambes pour te faire des bas rouges ! qu’elle me lançait, énervée, en continuant à tordre sa serpillière.

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4 – La cage

Voilà, midi, fait chaud, je passe à pied devant la clinique du Parc. Sur le perron, une  vieille femme pas capable de descendre seule les trois marches – pourquoi des marches à un perron de clinique ? –  d’un côté, un infirmier en blouse, de l’autre un homme, son fils, probable, soutiennent comme ils peuvent. Prennent des précautions, les hommes, pas le droit de la casser entre clinique et taxi, cinq mètres, ça va pas vite.

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5 – Le pont

A regret, j’ai tourné le dos à la mer, en direction de l’intérieur de l’île. Pas de carte, oubliée à l’hôtel. J’ai demandé la route pour l’Entre Deux.

Par là, et puis après le pont… Et comme j’ai l’air de ne rien comprendre, quelqu’un dit : regardez, on le voit d’ici, le pont ! Et, plus loin, les premières cases de la commune ! En levant les yeux, je ne vois d’abord que  les montagnes, vert cru, pentues, comme tranchées à vif. Et puis au loin, un trait d’union blanc qui joint deux flancs de montagne, au-dessus d’une faille géante.

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6 – Le peigne

– On a bien fait de venir à la plage, hein, Jason, enfin sortis du labo, détente !

Avec application, il lèche un icecream vert, comme un grand gamin. Attendrissant, cette concentration. Moi j’ai l’impression que mes neurones continuent à calculer tout seuls alors que je ne leur demande plus rien.

De tous les jeunes scientifiques du labo, Jason est celui qui me …Bref, j’observe avec attention les mouvements de sa langue sur la glace, mais y a-t-il pour lui, en ce moment, quelque chose de plus important au monde que de faire diminuer la masse crémeuse ? Une chose à la fois, semble-t-il me dire.

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7 – La nouvelle aire

Il y a des jours où vous avez des doutes sur l’humanité, pas vrai ? Après avoir lu certains écrivains ou certains philosophes ?  Ou seulement regardé le journal télévisé ?  Ou jeté un coup d’œil sur la une du Quotidien ?

Alors ? Sortir, marcher, aller vers la mer. Une valeur sûre, la mer. N’êtes pas le premier, la mer, la mer toujours recommencée, allons, rien de mieux pour évacuer le vague à l’âme que le mouvement des vagues.

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Ultima Colomba

Tout avait commencé un jour où le ciel était gris plombé. Les employés municipaux avaient placardé une affiche interdisant de nourrir le columba livia forma domestica. L’affiche comportait en son centre un portrait ornithomètrique de l’espèce incriminée. Toute la population était incitée à collaborer et, pour achever de l’en convaincre, une amende de trois millions d’euros menaçait quiconque serait surpris à donner à manger aux columba. Il était également interdit d’abandonner de la nourriture là ou il serait possible à ceux-ci d’accéder. Ainsi, la ville redeviendrait hygiénisable mais comme elle serait triste, se dirent les passants qui découvraient l’affiche, et comment convaincre les enfants qui aiment tant nourrir les oiseaux ? Lire la suite >

Dragon

J’ai la chance d’avoir un ami qui partage ma passion pour la peinture de Carpaccio. C’est Emilio, le vieux gardien de la Scuola de San Giorgio degli Schiavoni, ce lieu de recueillement, situé près de San Zaccaria, dans le quartier de l’Arsenal. Autrefois, je ne vous aurais pas donné l’adresse mais désormais elle se trouve, hélas, dans tous les guides, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’il y ait quelques intrus de plus dans ce qui fut mon sanctuaire.

Il y a bien des années maintenant que je travaille sur les oeuvres de Vittore Carpaccio, et en particulier sur ses diverses interprétations du dragon. Voilà pourquoi je connais bien Emilio. Quand j’ai commencé cette étude, personne ne visitait jamais la Scuola, sauf les étudiants des Beaux-arts et quelques rares érudits. Il fallait alors prendre rendez-vous avec Emilio, qu’il vous agrée, obtenir de lui la clé et sa compagnie pour visiter la Scuola. Inutile de préciser quel effet pouvait produire, sur un amateur d’art, ce lieu consacré à la peinture du maître du Cinquecento. Lire la suite >

Caps !

On ne sait pas qui avait introduit la mode des chapeaux colorés mais désormais tous les touristes en portaient. C’était un achat systématique en arrivant dans la ville, ils se coiffaient de casques mous, de hauts de forme sans forme, de bérets géants, de bonnets à grelots, de bicornes cocasses, de melons mollasses à tranches rouges et mauves, de galurins verts et jaunes, comme les fous des rois d’antan. On les repérait de loin, à la couleur, au bruit, aux gesticulations.

Des familles entières parfois arboraient le même couvre-chef et tout le monde était si fier d’être grotesque que le maire de la ville, qu’on appelait le néo-doge, eut l’idée de rendre le chapeau obligatoire, une sorte de droit d’entrée dans la ville, en quelque sorte, celle-ci ne méritait-elle pas qu’on acquittât volontiers un impôt supplémentaire ? Lire la suite >