Sur LE CLEZIO

(QUELQUES REFLEXIONS TOTALEMEMENT SUBJECTIVES)

Je m’aperçois que Le Clezio m’a accompagne depuis longtemps. Très discrètement. De loin en loin. Sans bruit. Au point que, jusqu’à présent,  j’ai rarement parlé de lui… Par exemple, au mois de septembre de l’année dernière, quand j’étais en congé de maladie, je lui dois mes meilleurs moments. Lire, pendant plusieurs jours a été mon activité principale. Rare. J’ai vécu alors en quarantaine, je veux dire avec La Quarantaine. Ce roman se passe sur l’île Plate, un des îlots qui en quelque sorte démultiplient l’île principale : Maurice.  L’île  Plate, à son tour,  se démultiplie en un îlot minuscule que l’on atteint à pied sec à maréee basse. C’est là que l’on envoyait mourir les plus atteints des malades mis en quarantaine à l’île Plate.  Les pailles en queue à brins rouges nichent sur cet îlot et volent autour de ces rochers volcaniques. L’auteur y fait sans cesse référence. Le récit est comme scandé par les cris des pailles en queue (phaeton rubricauda). Pour des quantités de raisons, littéraires, poétiques, géographiques, affectives, j’aime ce livre. Lire la suite >

Rendez-vous

C’est en marchant sur l’avenue des Ternes que j’aperçois Guillermo, assis dans un café. Comme c’est le début du printemps, il y a peu de monde en terrasse et Guillermo est placé à la lisière entre l’intérieur de la salle et la terrasse, profitant du premier soleil et à l’abri du vent frais. Devant lui une tasse de café qu’il ne boit pas. Il triture le papier qui enveloppait le sucre. Il le malaxe du bout de ses doigts jusqu’à le réduire en charpie. Je reconnais ce geste. Il identifie sans nulle hésitation Guillermo, il agresse ma mémoire et m’incite à fuir.  Après tout, Guillermo ne m’a pas vue. Seule une de ses mains semble vivante. Pour le reste, il est comme absent à lui-même.

Le lendemain je traverse le jardin du Luxembourg, pour le plaisir de voir les bourgeons éclater, les jonquilles garnir les parterres et les forsythias frais et jaunes contraster avec la texture des pierres. Lire la suite >

Les chiens

La nuit, mon compagnon ne réussit plus à dormir. A cause des chiens. Naguère ils aboyaient en chœur au moment où la nuit tombe puis nous laissaient en paix jusqu’à l’aube. Mais peu à peu ils se sont mis à hurler à n’importe quelle heure : l’un commence, un autre répond, puis un autre encore, une meute prend le relais et c’en est fini du sommeil. Même la cire dans les oreilles ne parvient pas à rétablir un peu de silence. Moi, j’arrive à les oublier en me racontant des histoires, puis je plonge dans des rêves incohérents, interrompus, recousus, pleins de bruits et d’aboiements inquiétants. Au matin, les coqs font entendre leur chant, mais, depuis peu, ils ont commencé à se faire entendre aussi la nuit, un chant rauque et comme contrarié. Les coqs me rassurent un peu, même s’ils me réveillent, mais les chiens me font peur. Lire la suite >

Inventerres

INVENTERRES se présente comme un carnet de bord écrit par une narratrice jamais lassée d’observer et déchiffrer ce qui l’entoure. C’est une découverte progressive de l’Ile de la Réunion, dont le fil conducteur est le langage. Les mots orientent la découverte : ils désignent des lieux, terres, rivières, montagnes, ravines qui existent d’abord sur le papier, sur une carte de l’île : elle ira à leur rencontre. Elle se passionne pour les noms des végétaux, des animaux, et pour tous ceux qui révèlent la présence humaine : noms de rues, souvenirs des disparus, traces du passé historique. Elle relève aussi des traces plus humbles : messages griffonnés dans l’espace public, ou sur les calumets, petits mots d’amour maladroits. Elle va à la rencontre des arbres, banians et vacoas, des fleurs sauvages et et de celles qui ornent les jardins : pour les nommer autant que pour les voir et les respirer.

Elle regarde les oiseaux, ses amis de toujours et jusqu’aux empreintes que laissent leurs pattes légères sur le sable sombre. Lire la suite >

Si je vous dis

Si je vous dis lagon vous JE

voyez fleur de tiaré vahiné bleu turquoise cocktail un verre givré

sur plateau

porté par A-nonymes en U-niforme

bien repassés par A-nonymes entassés dans la soute

du Cinq étoiles

parasol à franges

parade les aras font la roue

palmes en rythme un régiment de cocotiers dressés

au sol sable importé

blanc fin raffiné

à votre nez gardez le parfum des jasmins

les fragrances des frangipaniers

ondulent le cul des filles brille noire la peau des garçons

criez bravo

vide mental corps massé par A-nonyme aux doigts de fée

rien à faire rien à penser sans chéquier sans papier juste des perles carte bleue lagon bleu ça n’a pas de prix le soleil JE

poissons bariolés coraux doux à l’œil pas toucher

toucher corps à l’œil ou payé   boissons incluses

Si je vous dis lagon JE

me dis c’est  barrière pire que barbelée où est la passe Lire la suite >

Cadi

« Jeté sur ce globe sans forces physiques et sans idées innées, hors d’état d’obéir par lui-même aux lois constitutionnelles de son organisation, qui l’appellent au premier rang du système des êtres, l’homme ne peut trouver qu’au sein de la société la place éminente qui lui fut marquée dans la nature … »

« … On a trouvé le bébé un soir, au moment de la fermeture du magasin Hyper-Shrak, nu, enveloppé dans un blouson Quick Solver, taille huit ans. Agé de deux ou trois jours peut-être, il n’était ni sous alimenté ni malade, mais  probablement né quelques semaines avant terme.

Posé au fond d’un caddie, peu visible, tant il était petit dans le blouson trop grand, assez bien abrité par un paquet de couches pour garçons. Lire la suite >

Figures féminines dans la littérature mauricienne

Représentations du féminin dans les récits de Shenaz PATEL : comment se croisent représentations occidentales et orientales dans les figures de victimes.

Mots clés : littérature, Océan Indien, Shenaz PATEL , Ile Maurice, fiction, récit d’enfance.

Cette communication s’inscrit dans le champ de la littérature francophone contemporaine de l’île Maurice. Elle a été présentée au colloque CRHLOI (Centre de ressources pour l’histoire et la littérature de l’Océan Indien),  Université de la Réunion, en 2007qui avait pour thème : « Représentations comparées du féminin en Orient et en Occident »

Résumé : Les trois œuvres Portrait Chamarel (Grand Océan, 2001), Sensitive (éditions de l’Olivier/Seuil, 2003), Le silence des Chagos (éditions de l’Olivier/Seuil, 2005) reflètent les tensions du monde mauricien contemporain. Si, au début se construit une utopie,  les difficultés de repérages  identitaires et sociaux définissent des  situations sans issue. Dans les différents scénarios, c‘est presque toujours le  visage silencieux des femmes qui exprime la douleur des victimes. Lire la suite >

La donneuse de rêves

Amétiste jouait avec les dauphins. Ils étaient une douzaine, davantage peut-être, ils se poussaient, se frottaient, puis sautaient hors de l’eau en riant comme des fous. Amétiste enlaça un jeune dauphin, tout blanc – ou un béluga ? – , posa un baiser salé sur son front lisse, et s’aperçut qu’il avait une tête de chat, elle vit aussi que  toute la troupe s’éloignait, ou plutôt leur corps se dissolvait dans l’eau mais leur sourire demeurait, flottant sous la surface de la mer. Son jeune ami cligna de la nageoire puis s’esquiva à son tour, elle-même se sentit remonter, la lumière l’éblouit et les sourires s’évanouirent. Lire la suite >

Zistoir la Fontaine

Atelier 90

Zistoir la Fontaine

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éditions la maison bleue

Zistoir la Fontaine

20 histoires écrites par les 12 participants à l’atelier


Pour monter de Saint-Leu « en bas », jusqu’au lieu dit La Fontaine, il y a une cinquantaine de virages dont certains sont peu ordinaires. L’un d’entre eux est par nous surnommé le Moebius : on dirait un ruban à surface unique, prêt à nous transporter dans une dimension incertaine, réduite à une courbe infinie.

Au lieu dit « Fontaine » (ou « La Fontaine »), 500 mètres au-dessus diu niveau de la mer, la ravine qui porte le même nom, creuse le paysage de façon très radicale. Quant à la a route sinueuse, alias « Chemin Surprise » qui s’en va rejoindre la D13 précisément là où se franchit la ravine, elle est depuis le niveau zéro jalonnée par une douzaine d’arrêts de bus « Eolis », chacun portant un nom suscité par le terrain, la végétation, un repère humain visible ou non. Les arrêts « cars jaunes » prennent le relais sur la D13. Inutile de préciser que monter à la Fontaine ou en descendre constitue une forme de sport relativement risqué.

Une autre singularité du lieu : l’installation du chantier de la route des Tamarins, « ouvrage d’art non courant », qui bouleverse totalement le paysage et fait paraître incongrue la balade erratique du troupeau de chèvres inféodé au lieu. Un paysage d’abord dominé par les grues, parcouru par des monstres appelés Caterpillar, New Holland, Evolution, une noria de bétonneuses, de remorques, de véhicules à chenilles s’escrimant à virer en plusieurs épisodes dans les épingles à cheveux, en concurrence avec les cars déjà gênés aux entournures. Puis l’édification des viaducs, avec les deux équipes travaillant à se rejoindre au milieu du vide. Enfin, après apaisement des monstres, la Route, vierge bitume offert aux skaters, aux cyclistes, aux piétons en attendant sa mise en service en Juin 2009. Lire la suite >

Mémoires d’Amandine

Je suis née dans une boîte de bonbons. Ou presque. Ne riez pas. Mon père était artisan confiseur. Ma mère et ma grand-mère s’occupaient de la boutique. C’était juste avant Noël, la pleine saison des chocolats. Pas question d’arrêter le commerce. Ma mère accoucha donc dans l’arrière-boutique, parmi les stocks de bonbons et dans l’odeur des chocolats « de fin d’année ». Vous voyez ? Non, vous ne voyez pas,  parce que maintenant vous achetez vos chocolats dans les « grandes surfaces » comme vous dites. Eh bien en ce temps-là, elles n’existaient pas.

Ma mère garda un souvenir un peu pénible de cette aventure, ma naissance. Et voilà pourquoi je n’eus jamais ni frère ni sœur. Lire la suite >

Le guetteur de baleines

Je suis né dans une île. Et pas n’importe laquelle : Ouessant.

Mon père travaillait à l’arsenal de Brest et moi, j’aidais ma mère à dessaler les légumes du jardin et tondre les moutons bruns. Et surtout je regardais l’océan. L’hiver, les soirées sont longues, alors, très tôt, j’ai goûté au chouchen qui rougit les trognes et allume des fantasmes.

Je n’avais qu’un seul livre que je relisais chaque soir : Moby Dick. Je rêvais de vivre à Nantuket. Le capitaine Achab fut mon épouvantable héros. Lire la suite >

Le collectionneur

J’ai descendu trop vite les derniers virages. A faire crisser les pneus. Je gare ma voiture à l’entrée du pont, là où la vue sur l’océan est dégagée, parfaite.

Il est temps.

Le soleil, comme une grosse orange, va s’écraser dans le métal gris de la mer. Il descend vite, moitié d’orange sanguine, puis fine pelure de feu au contact avec l’horizon. Et, au final, l’éclat vert.

Me voici, les pieds collés au bitume, le gouffre en dessous et la tête dans les astres. Sidérée comme toujours, éblouie par le vert ultime.

Une voix me fait sursauter. Lire la suite >

Victoire

Victoire

Les deux premiers chapitres de Victoire ont été écrits en 1999. Ce sont d’ailleurs les seuls qui soient strictement « autobiographiques » ! La suite l’a été, dans l’urgence,  pour un concours :

Prix de l’écriture autobiographique (Récit de vie : il peut s’agir de la vie d’une personne réelle ou de la vie d’un personnage fictif) organisé par l’association des Ecrivains Méditerranéens.

La nouvelle a obtenu une « mention- prix » au palmarès des  66° Jeux Littéraires Méditerranéens, en 2008. Elle est parue dans la revue SOUFFLES, revue de l’association des écrivains méditerranéens, directeur de publication J-P Védrines : www.vedrinespoesieroman.com

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Ma petite voix

Putain de botton ! Voilà, c’est la première fois que j’ai entendu ma petite voix : elle a dit : putain de botton. Et moi je suis resté interdit, je veux dire interloqué, surpris, quoi. J’étais dans une rêverie délicieuse, mon dos sur une étoffe moelleuse, à mes lèvres un goût sucré, la salive inondait agréablement ma langue, gisant dans une humidité tiède et voluptueuse, mon pénis tour à tour s’amollissait et se tendait lestement, tandis qu’une lumière à peine blanche, comme un spray diffusant ses gouttelettes, vaporisait mes paupières.
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Histoire de Raô

Conte indien transmis par Patrice Favaro

Des gens jamais contents, nous en connaissons tous, des râleurs, des rouspéteurs, ainsi Raô vous sera immédiatement familier, même si son histoire se passe il y a très longtemps, du temps où la Mère du Monde vivait encore parmi les humains.

Raô n’avait qu’un seul bœuf qui labourait sa rizière, tirait sa charrette et lui tenait compagnie. Au travail, Raô et son bœuf avaient trop chaud.

Raô s’en vint revendiquer.

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Un artiste

Conte indien transmis par Patrice Favaro

Naguère vivait dans le Tamil Nadu, une enfant très jolie qui aimait dessiner dans la poussière, sur le sol desséché, fabriquer des couleurs avec la terre et les plantes et par-dessus tout danser. Sa maison était isolée des autres maisons, toutes aussi modestes, plantées dans la campagne, loin de la ville, mais riche en oiseaux et en animaux domestiques et sauvages. La seule maison proche de la sienne était celle d’un vieillard à qui elle rendait souvent visite, sans rien dire

Un jour elle se décida à lui parler.

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Ivi la Nattée

Jadis sur la terre d’Afrique  – terre brûlée, terre en transes, terre de toutes les magies – vivait une jeune fille appelée Ivi. Sa peau était noire et douce comme le cœur de l’ébène que l’artisan polit avec amour. Ses cheveux étaient si beaux, si longs, si épais que sa mère passa plus d’un an à les lui natter. Aussi sa coiffure était-elle parfaite, comme son caractère, aimable et généreux. Ivi la Nattée, comme on la surnommait, était désirée de tous les garçons du village, prêts, juraient-ils, à ne prendre qu’une seule femme, pourvu que ce soit Ivi. Mais celle-ci n’en aimait encore aucun.

Le jour de son quinzième anniversaire, le Grand Griot s’invita dans la modeste case, suivi par un escargot.

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Neige

L’hiver 1977-1978 a été long et rigoureux, comme on dit. Ou bien « fut » long et rigoureux ? Le passé simple, non, tout de même pas, me mettre à autobiographer au passé simple ! « Long et rigoureux », c’est trop nul comme cliché, l’a fait froid, quoi, plus froid que d’hab, salement froid, mais comme on vivait pas dans des cartons ou sous le Pont de l’Alma, ni dans une baraque en tôle, on était plutôt contents, en plus des autres raisons qu’on avait déjà, d’être contents, ton père et moi.

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