Si je vous dis

Si je vous dis lagon vous JE

voyez fleur de tiaré vahiné bleu turquoise cocktail un verre givré

sur plateau

porté par A-nonymes en U-niforme

bien repassés par A-nonymes entassés dans la soute

du Cinq étoiles

parasol à franges

parade les aras font la roue

palmes en rythme un régiment de cocotiers dressés

au sol sable importé

blanc fin raffiné

à votre nez gardez le parfum des jasmins

les fragrances des frangipaniers

ondulent le cul des filles brille noire la peau des garçons

criez bravo

vide mental corps massé par A-nonyme aux doigts de fée

rien à faire rien à penser sans chéquier sans papier juste des perles carte bleue lagon bleu ça n’a pas de prix le soleil JE

poissons bariolés coraux doux à l’œil pas toucher

toucher corps à l’œil ou payé   boissons incluses

Si je vous dis lagon JE

me dis c’est  barrière pire que barbelée où est la passe

pirogue cabrée

ici passer chavirer

ici le port le bateau les flics

pas question de crier

papiers non juste quelques nippes roulées dans un chiffon

argent le passeur  a tout pris sautez nagez

une chance un filet

accrochés abandonnés

retour demi-tour papiers

si pas coulé courir

rincés asphyxiés poches vidées tripes retournées

à terre sauvés sauf encagés

couverture de survie un survêt gris spécial naufragé

spécial prisonnier ration de riz

respirez toussez réembarquez dégorgez vos  silences inutile de parler papiers

Si je vous dis désert JE

voyez méharée tarifée

Tenerife Al Hoceima Oudja à jeep en dromadaire

Retour piscine enchantés

Fleurs d’hibiscus un verre givré

Sur plateau

Porté par A-nonyme enturbanné

En plein désert on vous construit une ville pour le shopping

Vous vend des îles sous le vent

Des îles en toc des taxes en plus

des archipels sécurisées des souks reconstitués des mirages en 3D

des escortes des cohortes agents de sécurité

des miradors des barbelés

sahara safari 4×4 retour medina pour vos achats

désert ou lagon c’est toujours bleu couleur carte

Ceuta  terre d’asile on t’a promis c’est terre hostile ceux qui attendent ici

tassés entôlés corps collés aux barbelés dos au mur alimentés sur tas d’ordures

terre brûlée rien case de cartons lambeaux de plastique pour l’ombre

terre  promise par les rêves rumeur réalité tu meurs

mensonges  haillons d’espoir cherchez la brèche dans la clôture tu connaissais l’existence de ce lieu /non je savais la France l’Espagne l’Amérique, le Maroc, non, Ceuta, jamais entendu parler/ je viens d’un village du Mali les passeurs nous ont dit voilà la côte vous êtes en Espagne/ c’est pas vrai comment on pouvait savoir/ on a marché la police nous frappe on attend ils nous renvoient on ne sait pas comment

murs chaulés de chaleur zone interdite

dans ce camp qu’est-ce que vous faites toute la journée / on prie on parle certains ont un téléphone pas pour longtemps/ quelqu’un écrit le plus dur c’est pas de nouvelles la famille/ comment rentrer on n’a plus rien/ moi je recommencerai j’ai vingt ans rien à perdre la vie là-bas c’est pire que la mort alors autant essayer je disais

à cent dans la barque accroupis pas bouger vomir entre ses jambes pas mourir

Vous pensez je pense avec la conscience la mauvaise on l’appelle mais comment la nommer conscience devrait suffire ET APRES

Nuit torture de la soif kwassa-kwassa naufrage morsure du sel

marée basse berce cadavres

nuit tortues pondent la vie éclot dans le sable la lune comme un œuf

luit sur les corps jetés

Circuit shopping désert inclus taxes en sus

voyagez en toute santé mettez la clim sucez ice cream croquez glaçons sucez garçons videz coca

sur plateau

porté par A-nonyme en Uni-versel uni-forme servitude

déaltérez vos sens rincez vos yeux-ray-ban oh mais keske vouvoulez kon ifasse rien je veux rien c’était juste pour parler  alimenter la conversation des millions d’affamés  les alimenter c’est trop ya qu’a pas regarder juste parler

soirée folklore tous au buffet méchoui  option langouste danse du nombril bijoux sonores voile sur la face matez

« Venez vivre au Canada immigration pour gens d’affaires et cadres supérieurs »

Ile je vous dis île vous en rêvez

Avec Tripadvisor payez vous l’île en ligne

Lampedusa l’Afrique italienne sable blanc cocotiers

Ou bien Nagez

Vingt kilomètres carrés de liberté arrêtés raflés parqués

derrière les grilles survivez

trente heures en mer grelottez

à terre attendez frigorifiés

d’où tu es

Zarzis Ben Gardanne Medenine Tataouine Sfax ou Gabès

Erythrée Lybie Somalie

Vous croyez qu’on peut accueillir toute l’humanité sur vingt kilomètres carrés

Prenez mangez le cœur des habitants de Lampedusa

est aussi grand que son ciel

S’ils touchent à une fille D’ici à l’océan indien tout sera rouge

Enfants noyés vieux bateau dernier berceau

bateau chargé de corps fille affamée Femmes en pleurs

Moi un oiseau je quitte la cage je souffre dans ma vie je veux une autre vie pour savoir qu’est-ce que c’est la liberté

partout se dressent des murs murs de paroles murs de papiers grilles regards mauvais

réembarquez

Si je vous dis lagon JE vous moi trempez

barbotez dans le gas oil

surnagez dans la fange

lorgnez l’écuelle de l’autre

vous êtes humains non oui mais qu’est-ce qu’elle me dit à moi l’humanité où elle est d’abord dans le pli d’un chiffon un cabas un vieux pneu une épave de mobile une savate d’enfant un bidon de fuel échoué dans une ride une bouteille a la mer un regard en haillon creusée dans la famine où  je la trouve moi l’humanité à la pompe au super marché au club house au golf au leader price à Anjouan aux îles Caïman dans un dupleix une suite une fin au Hilton à Villeurbanne qu’est-ce qu’elle me dit qu’est-ce qu’elle m’induit à qui elle parle sacs plastiques l’humanité sac tati l’humanité guenille enroulée autour du crâne chiffon plein de puces pustules prurit croûtes ventre vide elle roule sous les pneus l’humanité elle se casse sur les trottoirs elle peut toujours tendre sa main avide batterie vide cuvette en émail trois bouts de bois une gamelle noire portière rafistolée elle se partage à cinq une couverture usée elle n’ a pas d’oreiller l’humanité pas de chasse d’eau pas de clim pas de congélateur classe A pas de fil pas de jus juste un transfo encore en panne et la télé ça oui

Si je vous dis naufrage à quoi vous pensez ?

Plage de Tsingoni, Mayotte, 2008 – La Réunion 2011.

Pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire