2 – Suite pour

La première fois que j’ai vu X je ne l’ai pas vu. Lui, si. Nous étions cinq ou six personnes dans une pièce sombre et je ne le connaissais encore, je ne connaissais pas les autres non plus. Lui, pas de doute, il m’a repérée. Il n’a pas bougé, et je n’ai même pas su ce jour là qu’il s’appelait X.

A vrai dire, X qui est très brun, plutôt petit, n’a pas vraiment le profil de mes fantasmes. Voilà pourquoi je l’ai à peine remarqué

Un jour, il m’a parlé, mais comme distraitement, en me regardant à peine. X est musicien, instrumentiste et moi, je suis chanteuse, enfin, j’étais, avant l’accident. Nous étions collègues. Et dans un lieu où il n’y avait pas grand chose à faire. On a parlé des sonates de Brahms. Un régal. Les sonates, évidemment, mais aussi parler de Brahms avec quelqu’un. Parce que la sonate n° 1 en mi mineur, il la joue au violoncelle, et moi quelques fois, pas souvent, je l’ai jouée au piano. J’ai dit tu ne voudrais pas participer à …mais il m’a interrompu, il attendait un appel téléphonique important. J’allais dire à la chorale que je dirige. Tant pis.

Une autre fois, c’est lui qui m’a appelée. Tu n’aurais pas envie de venir à…J’ai dit excuse-moi, il y a mon portable qui sonne en même temps. C’est que je venais de faire la connaissance de Y qui avait, d’une certaine manière, le profil, au moins en apparence – quand je pense, c’est un pare-chocs chromé qui m’a ébloui et peut-être le geste pour me caresser les lèvres, ou l’odeur du cuir, tiens je ne sais même plus.

X avait coupé.

Je n’ai jamais su ce qu’il voulait me proposer. Pourtant plusieurs fois, on a bavardé en allant au  restaurant avec les autres. Comme moi, il détestait la campagne et s’agaçait de la bigoterie ambiante. On a même bien ri, quand il a imité certaines personnes. Puis parlé de choses plus graves. On était d’accord et toujours on revenait à notre passion commune, la musique. Il faut dire que Y déteste la grande musique, comme il dit, qu’il préfère le foot, mais pas autant que la voiture.

J’ai proposé à X une balade au bord de la mer, mais il m’a dit qu’il n’avait pas assez de temps, à cause du concert. Je crois qu’il était assez timide. C’est drôle, on venait de lire le même livre. On a parlé des plages immenses de la côte basque, lui aussi, il y passait ses vacances, autrefois

J’ai fini par aller l’écouter, dommage c’était dans une église mais je serais allée n’importe où pour écouter les suites de Bach. J’ai eu plusieurs fois des larmes, surtout avec le début de la 5.

Après le concert, j’avais envie de lui dire, ton violoncelle …la sarabande…la 6…mais je me suis éloignée très vite. Je lui ai dit que j’étais fatiguée.

Quand j’y pense, je vois bien que X et moi on avait tout pour … Quel dommage.

Car  maintenant, nous sommes morts l’un et l’autre. Pensez-y, vous autres.

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