Celle qui attendait l’été

Elle avait donné un coup de pied dans ses bottes pour s’en débarrasser, ôté ses chaussettes fourrées. Soulagée, elle ôtait maintenant avec vigueur sa tenue matelassée, arrachait presque les doux- vêtements thermolactyl.
Demain le printemps, affichait le calendrier.
21 mars. Elle aimait l’équinoxe. Ce moment suspendu, cette égalité furtive et précaire entre deux temps était pure jouissance. Elle préférait que l’on ne sentît pas son penchant pour le jour, sa hâte de le voir arriver, éblouissant vainqueur au jour du Solstice, à la fête de la lumière, sa fête. Elle était née un 22 juin.
Sa mère la retrouva qui grelottait sous l’abribus.
C’est trop tôt, ma fille, le temps n’est pas venu.

Et puis ce fut avril et la sage mère pendant trente jours radota : en avril, ne te découvre pas etc.
Elle s’acheta un chapeau rose et des bracelets d’argent, une jupe corolle et des doux-vêtements blancs.
C’est le printemps, viens-t’en Pâquette, lui chantait son ami Guillaume, te promener au bois joli.
Et ta cape de pluie ? cria la mère. Et pourquoi pas la chape de plomb qui leste les rêves, dit-elle en se hâtant.
Elle s’abrita sous un troène, un ruisseau à ses pieds coulant. La corolle collée aux cuisses, le chapeau dégouttant. Guillaume lui retira ses doux- vêtement trempés.
Courage, roucoula le ramier
Courage, gazouilla l’hirondelle. Bientôt mai, chanta le rougegorge. J’aime l’eau persifla le merle.

En mai souffla le vent d’autan, qui effeuilla les roses et les fleurs des pruniers.
Elle portait en l’honneur de mai une chemise de plumetis, bordée de dentelle incarnat.
Le mai, le joli mai, en barque sur le Rhin, lui chuchotait Guillaume.
Le vent souffla plus fort, les jeunes feuilles se crispèrent, le rossignol perdit son nid. Il neigea sur les rives du Rhin.
Sous ses paupières mauves naquirent des larmes amères. Le soleil n’était pas venu.

Aujourd’hui l’été, affichait le calendrier.
Bon anniversaire, ma fille, dit la mère. Guillaume ne voulait plus naviguer.
Nue.
Le jour du Solstice, elle sortit nue.
A la main une ombrelle d’organdi.
Son corps célébrait la nuit la plus courte, l’avènement de l’été, sa chair s’offrait au soleil.
Il tombait des grêlons.
Elle parcourut la ville et puis le bois-joli, sans même se couvrir d’une feuille de vigne et ruisselante se coucha dans le ruisseau gelé.

A l’hôpital psychiatrique l’attendait Guillaume.
Je suis né sous le signe de l’automne, dit-il en souriant.
Dehors, le givre se déposait sur l’herbe.
Les colchiques étaient apparus.
Elle tua Guillaume à coups d’ombrelle.

On lui passa une tenue matelassée dont elle ne pourrait jamais se débarrasser.
Surtout, dit la mère, retirez-lui son calendrier.

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