La maîtresse, elle a une surprise pour nous, qu’elle a dit. Méfiance. Les « surprises » et les « projets », en général, c’est inquiétant.
Sa surprise, c’est des catalogues, plein de catalogues. On doit d’abord les reconnaître, puis les nommer, c’est la « leçon de langage ». Donc il a fallu attendre que Sullivan ait réussi à cracher ca-ta-lo-gueu pour qu’elle nous lâche un peu.
Après, elle nous a fait dire que les Ca-ta-lo-gueu viennent de Courrefar ; ça, Sullivan, il a trouvé tout de suite, et même Wilson, qui dit jamais un mot.
C’était pas fini
Des jouets, les enfants, vous allez choisir les jouets que vous voulez ! Vos jouets pour NNNNNNN………………..
Noël, on a tous répondu en choeur, pour lui faire plaisir.
Alors, les jouets ?
L’« activité », c’est montrer un jouet à la fois avec le doigt et dire le mot : on a tous montré des tas de choses. Mais la maîtresse, elle n’en voulait pas : elle voulait qu’on lui dise seulement des jouets qui commencent par bbbbb.
Dayana, elle a eu droit aux félicitations, à cause de Barbie, et Bryan avec le ball-trap.
– Et maintenant, qui c’est qui va venir vous rendre visite, a dit la maîtresse, toute souriante, en mettant son doigt à elle sur la trogne du Père Noël de la pub Cora, qui c’est?
– Ouiiiiiiiii ….Très bien, Cassandre. Le PPPPPPère NNNNNNNoël ! Et le Père Noël, il a quoi ? une bbbbbbbbb……..Non, Bryan, c’est pas ça, tais-toi.
– Cindy ? Qu’est-ce qui commence par bbbbbbbb, le Père Noël, il a une bbbbbbb…. Allons, il y en a même deux ?
Elle commençait à me gonfler, pfffff, la barbe ! que j’ai susurré, mais elle fait toujours celle qui m’entend pas.
Junior a levé le doigt : Ya deux beu, barbe, c’est avec deux beu. Heureusement, ça lui a bien plu, à la maîtresse, on pouvait passer à autre chose. On a entouré tous les beu sur le catalogue et copié tous les mots en beu sur le cahier du jour. Quelle corvée !
Le lendemain, elle a remis ça. On est passé au dddddd. Ca allait être ma fête.
– Et toi, DDDDDDollar, qu’elle m’a dit, qu’est-ce que tu dddddddemandes au Père Noël ?
C’est pas qu’elle est bègue, la maîtresse, non, elle sait parler normalement, mais c’est rapport à notre Conscience Faunologique. Moi, je me demandais si on allait bientôt arriver à la panoplie de ZZZZZZorro, et qu’on en finisse, mais c’est même pas en ordre, les lettres, à cause que c’est des faux-nèmes.
– Un camion de pompiers, j’ai lâché pour la calmer.
Mal m’en a pris.
– kkkkkkkkkamion, clame-t-elle aussi sec : c’est le keu de kanard ou le le keu de képi ?
Moi qui déteste les militaires !
Ce qui m’a sauvé, c’est qu’elle avait encore une surprise :
– Le Père Noël vvvvvva ….. vvvvvvenir nous rendre ….. vvvvvvvisite !
Comme ça ? pour rien ? pour le plaisir ? Non, y a un « contrat » ( le « contrat » c’est le nom qu’elle donne aux contraintes). Et le « contrat » c’est apprendre une chanson. Par cœur. On la chantera devant lui, pour l’accueillir.
Je m’en doutais : on va aussi écrire. Le début du « contrat », c’est copier la chanson sur le cahier. Et c’est parti !
« Quand tu descendras du ciel » Cynthia ! Jony ! « Quand » ! tu crois que c’est le keu de kanard, peut-être ? Et toi, Dollar ! A ta place !
Je sais bien que c’est le keu de quartz,et pas le keu de Kant, mais j’ai réussi à ne rien écrire, et, la vache, elle a mis « N. A » sur mon cahier du soir. Non Acquis.
Et si j’ai pas envie d’acquérir « le lexique de Noël », moi, hein, quelle bûche, celle-là !
La visite du Père Noël, c’est pour le 15 décembre. En avance. Elle nous a raconté une quantité de salades, comme quoi sa tournée est très longue. Et il commence par nous, on peut être fiers. Une tournée inaugurale, quoi.
Et, bien sûr, y a encore une surprise : si le contrat est rempli, le Père Noël il descendra vvvvvvvvrrrrrrrrrr……
Vroum-vroum qu’on a dit. A force, on a tendance à bêtifier.
Il descendra vvvvvvvrrrrrrraiment du Ciel !
Oh, oh, que j’ai pensé, du Ciel ? C’est pas un peu trop catholique, ça ? Mais non, il allait descendre en aile volante, en parapente, si vous préférez.
Faut dire que notre école, elle est pas loin des falaises des Colimaçons. Vous auriez vu la tête qu’ils faisaient, les autres, même Dayana, qu’est pourtant futée.
Et de les faire brailler en chœur : « Avec – des jou – ets – par – milliers, n’oublie – pas mes – petits – souyés ». « Sou-liers » dit la maîtresse en montrant ses savates-deux-doigts.
C’est pour augmenter notre « stock de mots ».
Et voilà. Le 15 décembre, on a bouclé le « projet » : barbouillé tous les carreaux à la bombe givrante, écrit le « Menu de Fête » avec le beu de Bûche calligraphié en majuscule ( là, on en a bavé ), tous bien peignés, tous ayant acquis à la perfection la Conscience Faunologique du Peu de Papa.
On a ppppppppeint ( avec des gros pppppppinceaux ) une cible rouge et blanche sur le gazon synthétique de la cour, pour qu’il loupe pas le but.
On a attendu. Juste pour la récré, qu’il descend !
On a attendu. La maîtresse, elle a dit, mettez-vous sous les flamboyants, ça cogne, vous allez attraper des coups de soleil. Elle est belle, la maîtresse : elle a mis un bustier rouge et blanc, avec des petites brides très sexy, croisées dans le dos, et elle s’est maquillée.
Tout d’un coup, Jordan a crié : « Le voilà ! »
Et on l’a vu descendre, vrai, sur fond de ciel bleu, tout doucement, avec sa barbe en ouate qui flottait, qui flottait tellement qu’elle a fini par s’envoler. Faut dire que le vent s’est levé à ce moment-là. Un bon vent qui soufflait du cap la Houssaye.
C’était beau à voir, cette descente, on aurait dit la feuille d’automne de notre livre de récitations.
Et puis brutalement, plus rien. Hors champ. Le Père Noël, il a loupé la cible. Il a même loupé l’école. Disparu du côté des champs de cannes. Et alors on a entendu un sacré bruit. Et un grand cri. Et le silence.
Je sais plus très bien ce qui s’est passé après. La maîtresse, elle s’est mise à courir, la directrice sur ses talons, et les taties et le factotum. Tout le monde galopait.
Et, un peu plus tard, on a entendu pppppin-ppppppon- pppppin-pppppon- pppppin-pppppon, c’était le camion des ppppppompiers ( avec le ke de canard ) qui se pppppppointait et aussitôt après le gyrophare et la sssssssirène du sssssssamu, et même les gendarmes avec leur kkkkkkkkképi. Quelle panique !
En tout cas, le Père Noël, on l’a pas eu. Paraît qu’il est à l’opital ( on n’a pas encore vu le hache qui s’entend pas ). On se demande bien qui va nous distribuer les jouets.
Moi et Dayana, on passera notre commande sur internet, avec le catalogue électronique et le numéro de la carte bleue à papa, que je lui ai chourée la semaine dernière.
C’est quand même plus rationnel, non ?