Juins (extraits)

Présentation

« Juins » trouve difficilement son étiquette : autobiographie sans doute, par sa forme de « journal »  – chaque jour, du 1° au 27 juin, des textes brefs, soit une cinquantaine de pages – mais surtout photographie d’une société, retour sur une mince tranche de temps, mince au regard du temps historique, importante à l’échelle d’une génération. « Juins » est donc plutôt l’autobiographie d’une génération en même temps qu’une méditation sur le miracle  maintes fois raconté mais jamais épuisé : la naissance d’un nouvel être humain.

Un extrait de Juins est paru dans PAROLES DE FEMMES (Editions Radiofrance, librio, 2007 : www.librio.net ; www.radiofrance.fr)

Extraits

Le préambule :

En Juin 2006, comme des centaines millions de gens dans le monde au même moment, mon fils a eu 30 ans. L’importance de l’événement est évidemment dépendante de la perspective dans laquelle on se place. Et des priorités. Cependant, même dans l’environnement favorable où le hasard l’a fait naître, et moi avant lui, trente ans plus tôt, on n’est pas obligé de faire toute une histoire avec les anniversaires. J’ai tout de même eu envie de faire une histoire avec celui-là, une « égohistoire », ou plutôt une chronique. Une double chronique qui joint deux juins par-dessus le fil du millénaire : juin 1976 à juin 2006.

« La naissance fixe un point de départ, instant si marquant d’une vie qu’il semble en expliquer tout le mystère. Elle a l’apparence d’une réponse. Elle laisse tout de côté, moment suspendu, tel un jardin retranché où jamais l’illusion ne fane. »

René Frydman

Les textes

juin 1976 – juin 2006

1° juin 2006

Trente

Par mail, je te demande comment tu ressens ce dernier mois des années « vingt » qui est en même temps le premier des années « trente ».  Pas de réponse, ou alors je n’ai pas su l’entendre. La question n’a peut-être pas plus de sens ni d’intérêt pour toi que le « oh comme il a grandi ! » infligé par les adultes et si désagréable aux enfants.

Alors je me dis que c’est moi qui en ai envie/besoin d’un travail de mémoire, besoin de mettre en relation juin 1976 et juin 2006 […]

Impossible chronologie. Ce sera donc vrac ou thématique.

Je laisse faire.

Pré-en-bulle

Ce qui émerge en premier, c’est d’abord de la vie intime : des couleurs, le rouge, un rouge de vitalité, j’en reparlerai, de la lumière, la douceur du soir qui n’en finit pas, des sensations de bien-être, de chaleur, de contact : le couple en attente. Tout est tourné vers le désir : désir de l’autre, désir d’enfant. Quelques moments de lourdeur physique. Malgré cela, l’impression d’ensemble est plutôt une légèreté, celle des promesses et du rêve. L’enfant dans sa bulle, on a vu un film – le premier film sur la vie intra-utérine – merveilleux, j’ai oublié le titre, mais depuis je t’imagine, le corps lové, en train de sucer ton pouce, avec tes gros yeux d’embryon qui, pour l’instant ne sont pas encore en service.

2 juin

Annifs ( plusieurs)

[…] Je ne me souviens pas si en 76, on a célébré le quarantième anniversaire du Front populaire et entendu pour l’occasion « Tout va très bien madame la marquise » et « Le petit sentier qui sent la noisette » et autres chansons intellos de l’époque. Eux, mes parents, ils ne se souvenaient pas de Léon Blum, mais des chansons et de Mistinguette, les belles gambettes, ça oui.

J’ai fait ma Communion Solennelle le 2 juin 1957.

J’avais l’air d’un chien de cirque, comme d’habitude. Boulotte et tassée par le voile blanc épais. J’étais l’occasion d’une rare « réunion de famille » et d’un étalage de belles robes. J’ai bien aimé l’odeur de cuir du missel sur mes gants. Solennelle : j’avais bien compris le sens du terme. Par chance, l’élan mystique ne s’est pas produit. Pour mon père et ma grand-mère, c’était un moment authentique de ferveur et de fierté.

Désir d’enfant

Dans le désir d’enfant, il y a une envie de m’identifier : les femmes enceintes, encore plus que les jeunes mères me font envie, même si le bébé en lui-même m’effraie un peu (tout mou, trois kilos),  même si l’odeur du lait caillé me soulève un peu le cœur. Depuis longtemps, je rêve la nuit que je suis enceinte, que je vais accoucher et les sensations des rêves sont étranges, totalement instables, impossibles à décrire, et, a posteriori,  pas ressemblantes du tout. On construit le rêve avec ce qu’on connaît, bien sûr, je  pratique le yoga, mais pas au point de croire à la métempsychose.

Il m’arrive encore de rêver que je suis enceinte, et ça ne ressemble pas non plus au réel.

Enceinte : objet qui sert à diffuser de la musique.

Dans le milieu que nous fréquentons alors, c’est incongru, et même mal vu, déconseillé. Ca prend trop de temps, comment arrivera-t-on à faire la révolution  avec un bébé sur les bras ? Ne vient-on pas d’inventer la contraception ?  A « Femmes en lutte », on affiche sur sa voiture ou ailleurs : « Un enfant si je veux, quand je veux ». Avec le recul, ça semble très naïf.

Parce que, finalement,  c’est plutôt quand il veut, lui, l’enfant.

[…]

J’ai adoré être enceinte. J’ai adoré la conception, et les premiers moments de développement secret des cellules, les premiers mouvements, le volume croissant, la prise de poids, la silhouette, les petites pattes qui gigotent, les déplacements, le crâne qui se love contre la paroi, le sommeil du bébé, les caresses à travers la peau et l’habitacle, le dialogue, TOUT.

5 juin

Lectures/ libertés

Aujourd’hui j’ai lu deux livres récents qui parlent de périodes importantes du XX° siècle : Anna Moï  Riz noir (sur la guerre au Viet-nam, ça se passe au moment de l’offensive du Têt) et Pedigree de Patrick Modiano qui raconte son enfance à Paris avec ses parents qui ne s’occupaient pas de lui, et dans les internats, une enfance de mal-aimé, qui s’en sort de justesse, grâce à l’écriture. Modiano est né en 1945.

[…]

7 juin

[…]

Ce qui nous empêche de simplement nous « laisser vivre », je crois que c’est le désir de déchiffrer le monde, la passion de comprendre la société qui nous entoure. Cette curiosité, elle est née quelques années plus tôt et, encore aujourd’hui, on n’est pas près de la perdre. Pour moi, elle est toujours là, et de plus en plus vive.

A propos, qu’est-ce que c’est « se laisser vivre » ?

Nous, on s’empoignait avec « Laissez-les-vivre », les catholiques anti-loi-Veil.

On n’avait plus l’illusion de transformer le monde, on était avide de le décrypter. Cette fringale de comprendre, elle est en relation avec le désir d’enfant. Planter un enfant dans un monde auquel on ne comprend rien ? Impensable !

[…]

Je lis beaucoup de livres, sur tous les sujets. On ouvre les yeux sur la colonisation- décolonisation. On essaie de comprendre ce qui s’est passé en Algérie, quand on était petits. C’est à cause de ça et à cause de l’expérience « socialiste » qu’on a voyagé en Algérie, l’été d’avant celui de ta naissance.

Ce qui semblait « normal » quand j’étais enfant, je le relis, je le revois, à la lumière d’analyses et de témoignages. On regarde enfin avec recul les livres d’histoire-géo, le Mallet-Isaac,  de notre enfance ( les grosses taches roses sur l’Afrique : AOF, AEF).  Je lis Portrait du colonisé d’Albert Memmi, et Frantz Fanon ( Peaux noires masques blancs),  je lis les poètes, hurleurs débâillonnés,  pas encore académiciens, Senghor (l’inventeur du terme « négritude » le premier Africain à entrer à Normalsup), Aimé Césaire (actuel député de la Martinique il va bientôt avoir 100 ans !).

Ainsi, tandis que j’apprenais à lire avec la « méthode Boscher » ( PaPa fume sa Pipe/ maman PréPare le souPer), tandis qu’on buvait notre Banania ( « Si je vous dit « Ya bon ? ») , se passaient tous ces événements atroces ?

Quand aujourd’hui, en 2006, on publie des photos de la colonisation, jamais vues car « oubliées » ou « perdues » ça fait froid dans le dos, à beaucoup de monde, enfin, j’espère. Dans le milieu où j’ai été élevée, il n’ y avait ni missionnaires en « Extrême-Orient », ni chefs d’armée pour commander « outre-mer », ni intellectuels pour critiquer la situation, on vivait comme la majorité des Français avec peu d’information et surtout peu d’intérêt pour l’information. Ainsi, de la guerre d’Indochine, de Dien Bien Phu, on ne parlait pas dans les familles où, par chance, il n’y avait pas d’ appelé. C’était « loin ». Où exactement ? Le reste du monde nous concernait peu, mon entourage et moi dans les années 50 : ça me paraît invraisemblable aujourd’hui.

En 76, Tintin au Congo, on le regarde de travers. Et n’est-ce pas Mao qui a permis la libération du Viet-Nam ?

On lit René Dumont :  L’Afrique noire est mal partie. C’est le début de l’écologie. On prend conscience des problèmes de décharges et de déchets dangereux. On lit « La Gueule ouverte », la « Gueule toute verte » comme dit A. On signe, on écrit, on pétitionne, on défile.

En fait, l’urgence, c’était d’être de son temps, le bonheur, c’était ça, être de tous les mouvements de son temps.

Et être présents à ce temps-là, présents ensemble.

Parents !

En décidant de venir au monde, tu nous fais entrer dans une catégorie nouvelle qui sera, quoiqu’il arrive, désormais la nôtre : le 27 juin nous sommes devenus  parents. Pas seulement père de … mère de … mais ensemble : parents.

Tu ne l’oublies pas car, il y a  très peu de temps, quand nous sommes passés avec toi au bureau de ton entreprise. Tu nous a présentés ainsi : « mes parents ». Et comme il y avait longtemps que je n’avais pas entendu cette formule, ça m’a émue.

Avant ta venue,  nous étions fils de, fille de, frère de (pour A., je regrettais quant à moi de n’être sœur de personne !), nous étions de toutes façons reliés à une communauté, pas forcément restreinte à la filiation, aux « liens du sang », nous pouvions aussi nous définir comme ami de untel ou untel ou membre d’une organisation, etc. Mais « parents », avant toi, cela n’avait pas de sens. Catégorie, nous voilà rangés dans ce tiroir, à la fois social et affectif, catégorie qui ne recouvre pas tout à fait la fonction « naturelle » ( organique). Car on peut être « parent » sans avoir procréé, c’est une fonction de responsabilité – accompagnement d’un enfant, d’où qu’il vienne. Et l’on n’est pas forcément « parent » si l’on a par inadvertance planté quelqu’un dans le monde, mais génitrice/géniteur, c’est tout.

Nous, on est contents de devenir parents, ou bien on n’y pense pas, ou bien on évite d’y penser trop, parce que la formulation « les parents » habituellement et depuis longtemps, elle désigne la génération précédente, avec une connotation de mise à distance, voire de ringardise, et on va l’entendre désormais pour nous-mêmes !

PARENTS. Eh bien on a eu le temps de s’y habituer. Et, est-il nécessaire de le préciser, on a toujours été heureux, plus qu’heureux, émerveillés, de l’être, parents de toi, parents de vous deux !

Encore le prénom

Autrefois, il y avait assez peu de diversité dans les prénoms, qu’on soit riche ou pauvre, et l’on s’accommodait assez bien des confusions : on était « Pierre fils » ou « Paul le père », on s’appelait comme tous les premiers mâles de la lignée, ou comme sa mère, sa marraine,  comme son « saint patron », comme les « Saintes Femmes » ou les vierges miraculées/ miraculeuses, qui sans doute inoculaient leur vertu à leurs homonymes, ou, au minimum, leur servait de modèle. On héritait du prénom d’un mort proche, d’un ministre ou d’un glorieux militaire. Personne ne se demandait si l’enfant serait content de s’appeler Jules ou Léon. Le choix du prénom était un élément parmi d’autres de la cérémonie du baptême, pas cet important repère identitaire  qu’il est devenu.

C’est déjà différent avec les enfants du babyboom, moins interchangeables parce que moins sujets à mort précoce et à devenir chair à canons, et sous l’influence des nouveaux modes de communication, des magazines, des chansons, de la TSF.

[…]

Ensuite la diversification est allée en galopant.

Finalement, en 2006,  les noms de « marques » et de voiture – les petits Kenzo, Armani, les petites Cacharelle et les petites Chanel reflètent bien les nouveaux repères et les nouveaux mythes. Une amie prof des écoles me signale dans les classes de maternelle deux petites sœurs : Mégane et Clio.

Certes Jennifer et Loana sont plus sexy que Bernadette Soubiroux. Brice de Nice plus rigolo que Paul de Tharce. Les icônes Loréal ne  valent-elles pas les yeux révulsés et la robe de bure de Sainte Thérèse d’Avila ? Y a-t-il des petits  Hermès ? Feront-ils fortune dans la sellerie ou auront-ils les pieds ailés ? Et les jeunes Vuitton ? La petite Clio deviendra-t-elle docteure en histoire ancienne ? Y a-t-il des Samsung et des Toyota ? Les jeunes Jordan et les Zinedine seront-ils d’excellents sportifs ?

12 juin

« Temps »

C’est le bac ! Sujet de philo, j’entends à la radio :

« Cela a-t-il un sens de vouloir échapper au temps ? ».

Ca me parle évidemment : ce que je suis en train de faire est-ce vouloir « échapper au temps » ? A priori, c’est au contraire se placer dans le temps, dans l’Histoire, être conscient de son inscription dans le temps, de ses limites et de sa participation individuelle au temps collectif, au « destin » commun.  Mais cette définition « froide » ne rend pas compte de l’ensemble de l’entreprise. Car, ce que je repère, à mesure que j’écris, c’est  ressentir à nouveau le bonheur,  c’est l’envie de faire revenir ce qui était plus ou moins enfoui, diffus dans la mémoire. Ca fonctionne assez bien, mais sans maîtrise :  par exemple, ce qui revient c’est le prénom de la fille du boucher, le visage et le nom d’un jeune foot-balleur, alors que j’attendais plutôt autre chose, l’odeur de l’herbe, un échange de tendresse, une émotion vive, que sais-je encore. Remarque, l’inattendu est aussi un plaisir ! Tiens, c’était là, ça, planqué dans un petit coin du disque dur intime, ça alors ! Me voici en train de revisiter, de faire revivre un temps écoulé depuis trente ans, avec le désir, l’espoir de retrouver des éléments, des sensations qui, entre temps, s’étaient échappés.

En pensant à te les offrir, ces sensations,  et à te les faire partager, je vois bien que je me  donne d’abord à moi-même ce luxe du cinéma intime et personnel, parfois un peu douloureux, parfois, ou en même temps, jubilatoire.  C’est expérimenter la force de la mémoire affective, la lancer, la suivre, la laisser ouvrir ses dossiers erratiques et ses fichiers aléatoires. Merci Proust. […]

Creuser des galeries dans la mémoire, pour trouver je ne sais quelles pépites.

Minerai rare ? Me voici chercheuse de flashes.

Tu m’as offert « Chercheur de phrases », il y a quelques semaines.

… Ne pas oublier aujourd’hui de regarder l’or du soir.

Pas question donc, pour en finir avec la dissert, « d’échapper au temps ». Est-ce qu’on avait envie de les faire parler de liftings, de DHEA et de viagra, les candides candidats ? Question peut-être pour moi de lui donner, au temps,  de l’épaisseur, de lui donner de la lumière, pour au contraire, mieux le sentir : sont là, bien là, les trente années, solides, nommées, reconnues : « parfaites ». Au sens linguistique et grammatical du terme : comme on dit « perfect » en anglais, « parfait » en latin pour désigner un temps du passé. Voilà encore une ambiguïté qui me plaît.  Et, en français « accompli »  est à la fois une catégorie grammaticale, et  un terme valorisant.

13 juin 06

Augure

Un oiseau traverse la pièce, demi- tour près de la fenêtre du fond, et ressort aussi rapide, nous laissant médusés, C. et moi, la tartine et la tasse de café à la main. J’ai cru voir une hirondelle de cheminée, c’est leur comportement habituel, je me suis crue un instant en métropole. Mais ici c’est impossible : comme les salanganes nichent dans des endroits escarpés, cavernes du centre de l’île, elles n’ont pas l’habitude de fréquenter les cuisines et on les voit surtout au crépuscule. L’apparition est si fugace et le contexte si insolite  que je n’arrive pas à savoir quel est l’oiseau : improbable salangane ou tourterelle déguisée en flèche. Disons que c’est bon augure un oiseau qui visite la maison. En tout cas, le passage de l’oiseau a illuminé la tasse de café.

Augure, c’est : aves spicare qui signifie simplement « observer les oiseaux ». D’accord, j’arrête avec le latin. Je ne crois pas plus aux augures qu’aux signes du destin. Quoique, comme tu dis. Kouak kouak.

Des hirondelles nichaient sous les toits de la Grande Maison.

Out of microcosmos

1976 : en Espagne,  on respire enfin, Franco vient de lâcher prise, après quarante ans de dictature et l’Espagne commence à devenir le pays libre qu’elle est totalement aujourd’hui. Salazar aussi a fini sa carrière et la Révolution des œillets, au Portugal nous a émus aux larmes. C’est tout récent : 1974.

Mais le mur de Berlin pointe ses briques, ses fusils et ses barbelés : des gens meurent d’avoir voulu « passer à l’ouest »

Ailleurs on respire moins. En 1976, Pol-Pot devient premier ministre au Cambodge. On peut dire qu’il a été le meilleur « disciple » de Mao : des millions de morts. En Chine, fin de Mao,  « règne » de la redoutable « Bande des Quatre », les horreurs, c’est loin d’être fini. La même année, une junte militaire prend le pouvoir en Argentine et arrête tous les opposants ( comme ça, en Argentine ce sera « propre » pour le Mondial  78).

Au Chili, Allende est assassiné en 73, et la dictature de Pinochet  va durer. Abominable. Les femmes, elles, ne lâcheront pas prise, pour dénoncer les disparitions, les meurtres et les tortures. Il est assez logique, et juste, en tout cas, et réconfortant qu’une femme soit aujourd’hui présidente du Chili.

Dans notre vie à nous, c’est sans commune mesure avec tout ça. Notre président joue de l’accordéon et nous, on chante « Quand tu disais Valéry … » (Quand tu disais Valéry, c’est un film-charge sur le Président, on s’en délecte). On rit jaune avec Valéry.

Politiquement, les effets de Mai 68 en France ont été assez désastreux. Ca ressemble à quoi d’avoir remplacé de Gaulle par Pompidou ? Une majorité de gens ont eu la trouille, sacrée trouille, et pas finie en 74 : ils ont élu Giscard. On a tout fait pour éviter ça. Enfin, à notre niveau : décollé les affiches la nuit, distribué des tracts, participé aux réunions électorales, voté pour la « gauche traditionnelle » au 2° tour (moi, en tout cas). Résultat : on a pris une grande claque.  Et pour sept ans. Moi quand j’étais petite, je savais dire le nom du président et reconnaître sa photo dans l’almanach Vermot, Vincent –Tauriol. Toi, on ne t’a pas appris à dire Valéry etc.

Paradoxe (et cynisme) : élu par les vieux, il a accordé le droit de vote à dix-huit ans au lieu de vingt-et-un. Pas trop tôt.

[…]Donc, boum, il fallait bien que ça explose. Dans les têtes, dans les structures, avec la pudibonderie, la censure, l’hypocrisie, les femmes traitées en « mineures », on était encore au XIX° siècle. Si la révolte a été d’abord celle des étudiants, c’est qu’il y avait en priorité des comptes à régler avec les pères, les profs, tous les despotes domestiques, tous les mandarins abusant de leur pouvoir, avec leur passé d’anciens combattants, leur gloire et leurs œillères. On a secoué les vieilles habitudes, explosé les vitrines et déterré les grilles des platanes. Ou défilé gentiment. On a fait le blocus. On a rendu la rue aux foules joyeuses, restitué aux pavés leur statut d’emblèmes.

16 juin

Soweto

16 juin 1976 : en Afrique du Sud, des manifestations réprimées avec une grande violence  tuent plus de 500 personnes, dont un grand nombre de jeunes et d’adolescents. Violences qui révèlent  dans le monde entier le régime insupportable de l’Apartheid. Les « émeutes » de Soweto. Le mot « émeutes » a sans doute été inventé par des gens qui se sentaient supérieurs aux « meutes » et trouvaient que « révolte » c’est trop proche de « révolution » ou ça  a l’air trop légitime. Des meutes de chiens, il y en avait à Soweto, avec les policiers. Féroces. Soweto, on ne le sait pas encore, ce n’est même pas un nom,  juste une désignation administrative [ …]

22 juin

Grandes Personnes

Pendant longtemps, dans la préhistoire de ton histoire, on a respecté des hiérarchies soit disant naturelles, qui arrangeaient bien ceux qui s’étaient mis au sommet. Ainsi, dans les familles, les aînés étaient « supérieurs » aux cadets. Les aînés héritaient des « biens », les cadets récupéraient des miettes, à la rigueur un chat, encore heureux s’il avait des bottes. Les garçons étaient « supérieurs » aux filles, les frères aux sœurs, les maris supérieurs aux épouses qui leur devaient obéissance, et s’engageaient à les « suivre ». Les parents étaient naturellement supérieurs aux enfants, ceux-ci étant « mineurs » très tard. Les enfants devaient révérer les « Grandes Personnes ». Eux-mêmes n’étaient pas des « Personnes », même petites, non simplement des enfants. A dresser. Ou à « redresser », dans les « maisons de correction » dites aussi « maisons de redressement ». Tout un programme.

Semblerait que ça laisse des traces, la discipline des armées et l’organisation religieuse.

24 juin

Journal du jour

Titre d’un article du journal d’aujourd’hui. « Le nombre des très riches a crû de 500 000 dans le monde en 2005 ». « Le monde très sélect des millionnaires (en dollars) s’est élargi de 500 000 membres en 2005, pour atteindre 8, 2 millions… leur nombre a augmenté de 6,5 % en un an. Et leur fortune cumulée a atteint 33 3000 milliards de dollars. »

Rassurant, non ?

25 juin

Brocéliande

Vous voici à nouveau Aurélie et toi sur un de vos lieux mythiques. Pique-nique dans le Val sans retour, visite de Néant, Comper, Château de Lancelot et Lac de la Dame …

Belle idée pour ce week-end.

Des ressources pour les créations d’Aurélie.

Brocéliande : qu’est-ce qui fait la beauté de ces trois syllabes ? Leur mélodie ? Les images qui surgissent immédiatement quand on prononce « Brocéliande » ? Une combinaison unique de sonorités ?

« Brocéliande » commence comme Bretagne, comme Breiz,  comme bruyère.

« Brocéliande » réunit en son nom : la lande, l’eau et le ciel.

Joindre deux juins

Qu’est-ce qui m’a pris ?

Pourquoi ?

Parce que

1- Je suis loin de toi. Qu’est-ce que c’est « loin » maintenant avec toutes ces technologies qui permettent de se parler en direct ? C’est simple : loin c’est quand on ne peut pas toucher, c’est quand on ne respire pas le même air. Remarque, il y a des gens dont on partage l’air et on est loin quand même. Loin, c’est quand on a envie/besoin de toucher la joue, la main et c’est impossible,  quand la distance entre la bouche qui parle et l’oreille qui reçoit n’est pas mesurable avec le bras. Près, c’est être situé dans le même courant d’énergie, c’est percevoir les vibrations de la voix et les pores de la peau. Loin, c’est quand on est réduit à son imaginaire, même s’il est bien étayé.

2- J’ai envie de me rappeler. Rassure-moi, ça peut arriver à tout le monde, ça, se rappeler ?

et ME rappeler ? A qui ?

3- J’ai envie de Rappeler

4- J’ai envie de parler avec toi

5- J’ai envie de parler DE toi

6- J’aime bien être lue,  et en général il n’y a pas grand monde qui etc.

7- J’aime bien le luxe d’écrire pour un seul destinataire autre chose que coucou mon lapin gros bisous.

Pas facile, écrire ce genre de célébration,  on sait pas ce qui va surgir, d’intime de troublant, de banal, de pas glorieux, peur d’ennuyer le destinataire, de seulement se faire plaisir, danger du solipsisme. Pas facile écrire tout court.

Mai une fois tous les trente ans, ça va.

Pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire