Planter le décor

Atelier d’écriture

Dans le cadre du Festival Polar, thème « la gourmandise »
Association « Vivre la plaine de l’Abbaye »

Animation : Guillemette de Grissac
Participants : Tania, Lise, Andrée-Marie, Khadija, Virgile, Valérie, John

Déroulement de l’Atelier :
– Choix d’une photo parmi celles exposées à l’Hôtel l’Atelier (photos J.Leunens)
– En relation avec la gourmandise un de ces outils de cuisine (indice ? arme du crime ?), tiré au sort, doit être intégré dans le texte : tire- bouchon, couteau de cuisine, couteau de table, fourchette, petite cuillère, vide-pomme.

Casse-noisette

Par un bel après-midi de juillet, lors d’une balade dans la plaine de l’abbaye, je pars en direction de la pinède. Un site magnifique avec ses arbres centenaires aux troncs majestueux et mystérieux qui jouent avec la lumière ; ils me font penser à un ballet de lutins dansant sur la musique de Casse-Noisette. Et là, je pense : si je faisais un gâteau pour ce soir ? Mais oui ! Je me dirige vers mon cabanon « le Paradis » pour voir si les noix que j’ai laissées dans le panier sont toujours bonnes. Je rentre dans le cabanon, je veux goûter mes noix, j’ouvre le tiroir du bahut. Plus de casse noix !

C’est à ce moment-là que, désolée, que je sors du cabanon et je vois une ombre partir vers le long chemin qui va au Rhône. Je crie : au voleur !
L’ombre me lance mon casse-noix à la tête !
Victoire ! Je vais pouvoir faire mon gâteau de noix.

A R

Tournesol

J’éprouve de l’amour pour les tournesols. Et une tristesse quand ils se fanent. Soleils, on les appelle soleils. Chaque année je guette leur floraison brève. Quand je promène Smarra dans la Plaine, je passe toujours par le champ de tournesols. Les tourterelles qui raffolent de leurs graines, grappillent autour des têtes brunes et or.

Mais aujourd’hui les tournesols s’inclinent vers la terre, comme s’ils regrettaient le départ de l’été. Les tourterelles s’activent toujours, leur roucoulement tranquille fait écho au souffle du vent. Au-dessus du champ tourne un couple de corneilles. Finies les couleurs, toutes les têtes alignées sont sèches et brunes. Et pourtant, ça et là, quelques fleurs vives émergent encore des tiges raidies, petits soleils sortant d’un univers sombre. Le mistral refroidit les plantes et les pierres.

Smarra s’agite, puis s’élance à travers champ. A-t-elle repéré quelque chose ? En la suivant des yeux, j’aperçois une forme de couleur brune qui se distingue à peine de la terre. Je rappelle la chienne, l’attache et j’avance avec elle. Ce qu’elle a vu, c’est un morceau d’étoffe et cela fait partie d’un anorak épais -trop épais pour la température d’aujourd’hui – posé sur le dos de quelqu’un. Une forme allongée. Oui, il y a quelqu’un dont je vois seulement le dos vêtu de brun, une tête blonde tournée vers le sol, presque enfouie dans la terre. Un homme allongé, sans doute jeune. Il a dans la main une fleur de tournesol et un couteau planté au milieu du dos.

Guillemette de Grissac

Les amoureux du Jardin italien

Il est revenu encore. A présent les tournesols ne sont plus les miroirs dressés, triomphants qu’il avait découvert, décontenancé. Le ciel n’a plus ce bleu puissant contrastant avec cette armée de visages jaunes au regard insoutenable émergeant de collerettes vertes. Ils ont perdu toute leur arrogance. Têtes baissées sous un ciel lourd et menaçant. Loqueteux. Ils reflètent maintenant sa propre impuissance, son propre découragement. Il lui semble que les joggeurs de la Plaine de l’Abbaye qu’il croise l’observent avec méfiance. Il est revenu trop de fois, on peut l’avoir remarqué, reconnu peut-être. Et ce champ qui n’est toujours pas fauché ! Le rocher d’Andaon l’écrase. Il se rappelle ses premières promenades avec Louise dans le jardin italien de l’Abbaye. Louise et Gilles. On les appelait les amoureux du jardin. Il se souvient de cette terrasse, unique dans la région. On y voit à la fois le Palais des Papes perché sur le rocher des Doms, le Mont Ventoux et les dentelles de Montmirail. Aujourd’hui il est celui qu’on observe peut-être de ce point de vue. A cette pensée, une bouffée d’angoisse le saisit. Il se décide enfin à partir sur le chemin qui longe le contre-canal. Il tâche de marcher le plus tranquillement possible. Mais pourquoi être revenu ? Il est des pays qu’on a abandonnés, qu’il vaudrait mieux ne plus jamais revoir. Eux et leurs habitants. Transgresser peut engendrer le chaos. Il passe près du lieu de pique-nique sans se retourner, un pincement au cœur. Il se souvient de cette course folle à travers le champ où germent des rangées de feuilles qui l’hypnotisent. Qui le croirait ? Pas question de traverser aujourd’hui ce champ cultivé. Jamais il ne retrouvera cette satanée fourchette d’argent, si singulière et si compromettante. Une fois dans sa voiture, il ne l’avait pas retrouvée dans sa poche. Pourquoi bon sang n’être pas revenu la chercher tout de suite ? La trouille, la panique sans doute. Que quelqu’un la retrouve maintenant et ç’en est fini de lui.

Ce que Gilles ne sait pas encore c’est que Louise n’est pas morte et qu’elle l’observe du haut de la terrasse

JL

Marie Argelès

C’est dimanche, un soleil d’Août. Des rouges gorges et des pinsons chantent sur les branches du vieux chêne. Plaine de l’abbaye. Je marche à pas lents. Soudain, je vois quelque chose de bizarre au sol. Je m’approche de plus près, je vois des morceaux d’une matière couleur ocre. Je touche, c’est un morceau de pomme. Et même un cœur de pomme. Et pourtant aucun pommier alentour. Mon regard s’aiguise. J’aperçois sur un buisson une touffe de cheveux roux, coupés. Je continue d’avancer, je découvre un sac à main. Hermès, inattendu. Sur le bord du sentier en terre, une paire d’escarpins noirs à talons, enfoncés dans le sol, pointure 39. Un peu plus loin, un portefeuille rouge corail. Je le saisis et, à l’intérieur, je trouve une pièce identité : c’est une dame nommée Marie Argelès.

A mes pieds un objet scintille c’est un vide-pomme.

K H

Epouvantables jardins

Je déambule sous un vent mouillé qui gerce mes joues. Les souvenirs d’antan remontent à flot.
Il était si gentil, Anselme, le jardinier qui nous offrait des glycyrrhiza glabra autrement dit bâtons de réglisse.
Cette saveur retrouvée excite subitement les papilles avides de mon enfance et ouvre les portes de mon pénitencier intérieur mais plus encore…

Ces jardins partagés me rappellent notre cocon familial des années 60. Mes pas, mon regard, mes pensées ne sont guidées que par la recherche de… rien. Et sans le savoir ils me conduisent calmement et fermement vers les méandres d’une énigme familiale.
Je pars sous la pluie, noire, malgré un timide soleil qui tente de percer les nuages gonflés de trop de malheurs.

Je cueille un « coquelicot-madame », j’arrache une herbe folle, un pied d’atropa belladonna (autrement dit douce-amère), je gratte la terre aride afin d’aérer le pied de l’olivier-témoin et – ô surprise – j’extirpe des profondeurs de la terre le fameux couteau qui manquait à la ménagère en argent de ma grand-mère. Depuis un demi-siècle. Il est recouvert d’une couche épaisse : de la terre et du sang sec, couleur de la mort, qui résiste.

Un malaise, une sensation de vertige s’empare de tout mon être, je me mets à trembler jusqu’au bout des ongles. Je suis à nouveau la petite fille meurtrie par les non-dits et les mensonges des adultes. On cache toujours l’inavouable aux petits qui, pourtant, entendent tout.

Egorgé sauvagement, tel un cochon de ferme.
Il avait payé très cher, notre jardinier Anselme, pour les avances qu’il avait faites à ma grand-mère, Reine-Mathilde.
Il l’avait toujours regardée avidement, cette fleur parmi les fleurs, belle comme un aster amellus.
Qui avait tué Anselme ?
Une chape de plomb pèse toujours sur ma famille.

L N

Près des eaux dormantes

Un décor d’eau, d’herbes, d’arbres. Derrière le talus, le Rhône coule, impérial, tandis que l’eau du contre-canal semble immobile. Au printemps, des flottilles de canetons suivent leurs parents, au crépuscule, parfois un ragondin se risque, et dès les premiers rayons du soleil, des tortues cistudes restent immobiles sur des branches mortes avant de plonger brusquement.
Mais il y a l’odeur. Douceâtre, prégnante, flottant autour du fouillis de buissons, près du petit banc de pierre.
Il semble être le seul à l’avoir remarquée. Les joggeurs passent, l’œil fixé sur leurs performances, les propriétaires de chiens, les petites familles avec les enfants dûment casqués sur leurs tricycles, les gens d’âge mûr qui marchent en bavardant. Personne ne marque d’arrêt, ne regarde autour de soi, l’air gêné et interrogateur.

Les buissons et arbustes paraissent inextricables, aussi compacts qu’autour du château de la Belle au bois dormant. L’origine de l’odeur est-elle juste derrière les premières branches ou plus loin ?
Un renard ou un lapin mort ? J’essaierai de le recouvrir de terre, se dit-il, pour que ça sente moins.

Il contourne le petit banc, commence à écarter les branches avec précaution pour ne pas s’égratigner. Son pied rencontre un objet dur, sous un peu de terre. Il gratte « Qu’est-ce que c’est que ça ? Un tire-bouchon très élaboré avec deux branches qu’on tire vers le haut pour mieux extraire le bouchon. L’odeur gagne en intensité. Des deux bras, il écarte un arbuste. Ce n’est pas un renard, ni un lapin. C’est ce qui semble être un homme, la tête tournée sur le côté, les mains déjà attaquées par les bêtes, les jambes du pantalon semblent presque vides et, contre son flanc, une bouteille de vin rouge, avec son bouchon, à peine entamée.

T K

The cake’s killer

Se lever à 6 h du matin pour faire un footing, voilà l’idée qui avait germée dans l’esprit de James Decker, il y a 5 ans de cela, avec pour objectif de se tenir en forme et d’être bien conservé sans pour autant manger de yaourts. C’était donc à cette heure matinale qu’il courait, au bord du canal de Villeneuve-lès-Avignon, un samedi matin, plus précisément pendant la fin de semaine du Festival Polar qui avait cette année comme thème la gourmandise. Il trottinait avec dans la tête « Be bop », un air de jazz qu’il avait maintes fois répété, quand soudain il vit quelque chose. Etait-ce jaune, blanc, rose, il le voyait mal à cause de la faible luminosité des matins des mois d’hiver. Il se rapprocha tout en se demandant ce que pourrait être cette forme qui semblait venir tout droit de l’infini, puis il crut reconnaître une main. C’était bien une main parmi les buissons. Il écarta les broussailles et découvrit un spectacle aussi surprenant que … horrible. Un homme était allongé par terre, une cuillère en travers de la gorge. Il semblait aussi il y avoir quelque chose d’autre à côté. A bien y regarder, c’était… Oui c’était un gâteau. Qui plus est, un gâteau aux cerises. Couleur rouge sang.

V D

A table

Douce, moelleuse, humide, grave, cette odeur du tapis de feuilles. Entre deux flaques boueuses, Hestia gambade, heureuse de cette promenade inopinée que je lui offre ce matin de semaine.
Drôle de semaine : un déplacement en Suisse annulé, deux jours de liberté, gagnés comme une cerise sur le gâteau ou …comme cette petite fourchette qui semble d’argent, et que Hestia me rapporte, la gueule refermée sur l’objet, queue frétillante, toute émoustillée par ce piquant des premiers froids d’automne. Et aussi par ce bain qu’elle vient de s’offrir dans le contre-canal.
Y flotte un tapis de feuilles rousses jaunes brunes et safran, couleur chez les feuilles de la vie qui s’en va, couleur qui donne à voir l’insoupçonné de toute vie : ce rouge après le vert, ce brun après le jaune, ce gris après la couleur. Quant à cette fourchette, oui, elle est bien argentée. De marque même : Christofle.
Qu’en faire ? La garder, c’est tentant. N’est-ce pas un peu la voler ? La rapporter à la police municipale ? En ce week-end de festival, leur bureau sera fermé. Peut-être voir si j’en trouve un en ville ? Pas trop envie, autant profiter du calme, de la brume, des faisans que j’ai entendus tout à l’heure, des odeurs et de cette eau apaisante que je longe à grands pas.
Qu’est-ce qui brille là, juste au bord, derrière ce massif d’aubépines aux couleurs passées ? Une autre fourchette, de grande taille cette fois, pas pour le dessert, mais pour les choses sérieuses. Quoique le dessert, c’est très sérieux en fait, je trouve, moi.
Bizarre tout de même. Qu’est-ce que c’est que ça ? Un pique-nique chic dont les protagonistes se seraient enfuis au plus vite pour échapper à la pluie ? Un cambriolage dont des objets auraient été abandonnés ? Pas logique. Tiens, ça brille encore, là-bas, en contrebas du canal, sous l’arbre couché sur l’eau. Encore l’œuvre des castors. Ah bien ça alors, cette fois, c’est le couteau, le manche, même style, mais…la lame ne brille pas. Elle est bien enfoncée dans ce qui …oh non, pas ça !

V G